The psychologist Carlos Alvarado made an interview of me regarding the book "La légende de l'esprit". The English version can be found on his website. I will thank him to allow me publishing a French version of this interview below.
Pouvez-vous nous faire un bref résumé de
l’ouvrage ?
Le livre commence par une introduction technique sur les problèmes que
pose la démarcation science/pseudo-science lorsqu’on s’intéresse à l’histoire
commune de la psychologie et de la parapsychologie. Je m’appuie alors sur les
écueils et les solutions produites par quatre méta-sciences : la
sociologie, la philosophie, l’histoire et la psychologie des sciences (et parasciences).
Le prologue, au début du deuxième chapitre, résume une partie du travail
de Bertrand Méheust (1999) sur la façon dont les scientifiques ont appréhendé
la question du magnétisme animal jusqu’à son rejet explicite à l’Académie de
médecine en 1842. Je débute ensuite une histoire de la parapsychologie centrée
sur dix figures françaises plus ou moins connues, chacune abordant la
parapsychologie à sa façon, en mettant l’accent sur le croisement entre
trajectoire personnelle et trajectoire scientifique. Par ordre de chapitre, ces
dix figures sont Agénor de Gasparin, Timothée Puel, Pierre Janet, Charles
Richet, Pierre Curie, René Sudre, Eugène Osty, René Warcollier, François Favre
et Nicolas Maillard. Grâce à eux, je parviens à couvrir, sans être exhaustif,
150 ans de parapsychologie en France. Un épilogue traite de récents débats en
France au travers desquels on perçoit la marginalité actuelle de la
parapsychologie.
Dans la conclusion, j’essaie de tirer des leçons de
cette histoire selon plusieurs axes : les fonctions de l’hétérodoxie
parapsychologique pour la psychologie (histoire des sciences) ; la
construction de la crédibilité scientifique et de l’expertise de démarcation
(sociologie des sciences) ; la part de l’élusivité naturelle et sociale
comme obstacle épistémologique (philosophie des sciences) ; et l’analyse
réflexive des vices et vertus épistémologiques (psychologie des sciences).
Quel est votre lien avec la
parapsychologie, et avec le sujet de ce livre en particulier ?
J’ai
une bonne connaissance générale de la parapsychologie et je soutiens de
nombreuses initiatives visant à diffuser des informations correctes sur l’état
d’avancement de la discipline. Considérer que c’est une discipline qui, sous sa
meilleure forme, a toute légitimité à intégrer la communauté scientifique et
académique ne me fait pourtant pas adhérer à toutes les croyances qui circulent
concernant les « phénomènes psi ».
Mon approche principale, développée dans ma thèse
et mon précédant livre, Folie et
paranormal (PUR, 2014), est la clinique des expériences exceptionnelles. En
tant que psychologue clinicien, je m’interroge depuis longtemps sur l’écoute
réservée aux personnes qui, aujourd’hui encore, pensent faire l’expérience du
paranormal. Les aspects culturels jouent un rôle important dans la possibilité
d’intégrer (pour le meilleur et pour le pire) ces vécus à des modèles de la
réalité. Il est donc normal de s’interroger sur la façon dont les Français
cultivent un rapport paradoxal vis-à-vis du paranormal : ils sont
officieusement de grands amateurs de paranormal, mais affirment officiellement n’être
que des cartésiens rationalistes qui ne mangent pas de ce pain-là. L’approche
scientifique et agnostique de la parapsychologie a eu toutes les peines du
monde à frayer son chemin entre ces deux courants contradictoires.
Je ne suis pas historien de formation, mais j’étais
confronté perpétuellement à ce clivage, étant un psychologue s’intéressant,
dans un cadre universitaire, à des sujets hétérodoxes. Ce que j’ai développé
dans ma thèse par rapport à une interrogation actuelle sur les rapports de nos
sociétés occidentales au paranormal, je l’ai prolongé ici en me concentrant sur
la France et sur la trame historique des rapports conflictuels entre
l’orthodoxie et l’hétérodoxie en psychologie.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce
livre ?
Lorsque
j’ai commencé à travailler dans le service gratuit de clinique des expériences
exceptionnelles au sein de la fondation Institut métapsychique international de
Paris, j’ai rapidement découvert les trésors de leurs archives. Au fil des ans,
j’ai accumulé de nombreux documents, mais aussi des archives privés, des
témoignages de descendants ou de contemporains de chercheurs, et j’ai développé
une expertise par mes interactions avec les nombreux chercheurs qui explorent
des bouts de cette histoire. A un moment, j’ai eu besoin de restituer tout cela
pour faire le point sur ce que je savais, au-delà des quelques articles et
communications que j’avais disséminés. De nombreux chercheurs à l’étranger
m’encourageaient à diffuser ces informations dont ils n’avaient qu’une connaissance
approximative, notamment du fait de l’obstacle de la langue.
Ce livre est parti de problématiques de recherche
assez simples : pourquoi la France est si en retard, comparativement à ses
voisins européens, dans l’acceptation d’une psychologie scientifique des
croyances et expériences paranormales ? Pourquoi alors qu’elle était au
sommet de la « métapsychique » à la période de Puységur (Méheust,
1999), au tournant du XXe siècle et de nouveau durant les Années folles, n’y a-t-il
jamais eu aucune unité académique dans ce domaine ? Une autre question
concernait les rapports entre psychologie et parapsychologie : beaucoup
d’auteurs affirmaient qu’un divorce irréversible avait été prononcé entre les
deux disciplines, mais aucun ne s’entendait sur le moment et la manière de
cette démarcation. Mon étude m’incite à penser qu’il s’agit plutôt d’un travail
de frontiérisation dynamique qui est toujours en cours, et auquel on participe
en reléguant la parapsychologie dans l’histoire sans prendre en considération
son développement contemporain.
Pourquoi pensez-vous que ce livre est
important et qu’espérez-vous qu’il accomplisse ?
Ce livre a de nombreuses imperfections et j’espère
qu’elles seront corrigées au fil des ans. A chaque chapitre, je rectifie
moi-même de nombreux détails erronés diffusés par d’autres historiens
académiques ou non-académiques. Mais cela est tout à fait normal car j’accepte
d’inscrire mon travail dans une sériation :
il n’aurait pas été le même sans d’importants travaux qui m’ont précédé (ceux
de Plas, Méheust, Le Maléfan, Lachapelle, Brower, etc.). Et j’espère qu’il
poussera d’autres à être encore plus rigoureux et précis que moi dans les
détails de cette histoire passionnante.
L’un des intérêts de mon travail – mais
peut-être son ambition la plus impardonnable – est de traiter également de la
période contemporaine (après la Seconde Guerre mondiale), ce qu’on ne trouve
pas habituellement dans les autres ouvrages. Probablement que le recul manque
pour traiter de ces périodes, surtout que plusieurs individus concernés sont
encore vivants ou laissent un souvenir vivace. Mais je voulais répondre à des
questions que je n’étais pas seul à me poser sur les différents cycles connus
par la parapsychologie française et leurs conséquences sur la situation
actuelle.
Je crois
que les spécialistes apprécieront toutes les petites découvertes qui parsèment
mon livre et amènent à réviser certains jugements. Il y a toutes ces figures
inconnues (Agénor de Gasparin, Timothée Puel, Louis Favre…) qu’on ne manque pas
de déterrer lorsqu’on pousse la recherche au-delà des « grands
hommes ». De nombreuses anecdotes parsèment l’ouvrage et tentent
d’approcher au maximum des contextes de l’époque. Le fait d’être porté, à
chaque chapitre, par un personnage historique principal favorise une lecture
dans laquelle on se projette facilement. Toutefois, j’ignore comment le grand
public va accueillir ce récit complexe, rédigé dans un style rigoureux et très
documenté, et qui ne donne raison ni aux parapsychologues, ni aux sceptiques.