mercredi 29 mars 2017

Quelques remarques sur l'expérience de l'ISSNOE avec Nicolas Fraisse

La parution du livre Voyage aux confins de la conscience : le cas Nicolas Fraisse (Dethiollaz, Fourrier & Fraisse, 2016, éditions Guy Trédaniel) et sa médiatisation importante ont fait découvrir  à certains une expérience étonnante de clairvoyance, réalisée de mai à juillet 2013, dans le cadre de 10 années de recherche avec un sujet ayant fréquemment des expériences de hors corps. Ces expériences ont été réalisées au sein du Centre Noêsis devenu, après fusion avec la Fondation Odier de Psychophysique, l'Institut suisse des sciences noétiques (Genève).
N'étant pas parvenu à trouver de critiques argumentées de cette expérience, j'ai décidé de partager quelques remarques assez basiques à son propos, qui seront sûrement à compléter et à corriger. 
Un petit rappel pour ceux qui ne connaissent pas l'expérience : on remet à un sujet une image dans une enveloppe jaune (dite "opaque"). Il doit deviner ce qui est sur l'image ou, plus précisément, il doit correctement identifier l'image à l'étape suivante où on lui présente 4 images dont la cible. On renouvèle la procédure 100 fois avec des pauses entre chaque essai (et tous les 20 essais). Il s'agit donc d'une expérience très simple de clairvoyance que chacun peut reproduire chez soi. 


Points positifs

Tout d'abord, il faut souligner les qualités de cette étude :
- Des résultats quantitatifs bien supérieurs au hasard (79 succès sur 100, alors que le hasard seul prédit une moyenne de 25 succès), et même au-delà de ce que l'on voit habituellement dans les recherches sur la clairvoyance (1 chance sur 69 milliards de milliards de milliards).
- Des résultats qualitatifs également très intéressants, bien qu'inattendus : le sujet (Nicolas Fraisse) ayant spontanément transcrit des réponses en prose ou en vers qui le guidaient dans la sélection de la cible.
- Une étude longitudinale sur un sujet unique qui s'intéresse à sa psychologie et développe un protocole sur-mesure. C'est très rare de voir des expériences à ce point "écologiquement valides", comme on en trouvait aux débuts de l'Institut métapsychique international (dans les années 1920).
- Une recherche originale, développée avec un grand courage épistémique et dans des conditions de financement très difficiles. 

Points négatifs

Aspects généraux

Par respect pour les participants à cette recherche, il me paraît nécessaire de leur proposer un débat contradictoire. Une critique qui se résumerait à dénoncer que de telles recherches soient entreprises, ou à contester les résultats parce que contraires à telle ou telle vision du monde, ne rendrait pas justice à cette entreprise scientifique. Je proposerai seulement des remarques assez formelles portant sur le protocole et son introduction dans le circuit scientifique :
  • La première remarque, la plus évidente, est que cette recherche n'a pas encore été publiée convenablement. Ses auteurs sont bien conscients de ce fait et développent certains efforts pour soumettre cette recherche à une revue mainstream (cf. l'interview de Sylvie Dethiollaz par Jocelin Morisson dans Nexus). Néanmoins, ils ont fait le choix de communiquer sur leurs résultats avant même d'attendre ce regard partagé avec la communauté scientifique. L'expérience a été publiée une première fois en français et en anglais (Edit : merci Jocelin Morisson) en décembre 2013 dans le n°5 du Bulletin de la fondation Odier de psychophysique, c'est-à-dire une publication en interne (les Odier participant à l'expérience et la finançant). Ce bulletin n'est pas indexé et se trouve être difficile à se procurer : impossible de commander l'article ou le numéro en ligne. Ensuite, l'expérience est décrite dans le livre cité plus haut, mais cela veut dire à nouveau qu'il n'a pas fait l'objet d'une évaluation extérieure conforme au processus scientifique. Cette évaluation aurait permis de pointer de potentielles failles méthodologiques, bien mieux que je n'en sois capable moi-même. Pour l'instant, il s'agit donc d'une pré-publication qui appelle donc à certaines réserves.
  • La deuxième remarque a trait au processus de diffusion. La recherche est décrite dans un livre dont les objectifs sont ouvertement commerciaux, les auteurs reconnaissant que la vente du livre (comme celle de leur précédent ouvrage) est la principale source de revenus pour financer la poursuite des recherches de leur institut. C'est donc de l'argent réinvesti dans la science, mais cela peut prêter à confusion car de nombreux pseudo-scientifiques utilisent le même procédé de contournement du circuit scientifique pour "vendre du rêve" et s'enrichir sur le dos de la crédulité. La parution du livre a bénéficié d'une exposition médiatique très importante et généralement de qualité. Mais celle-ci peut être qualifiée de surmédiatisation car il y a un déséquilibre entre ce qui a été proposé aux chercheurs en l'espace de 10 ans et ce qui a été diffusé au grand public. De plus, lors de certains passages médiatiques (notamment l'émission Salut les Terriens de Thierry Ardisson du 25/3/17), une ambiguïté (de la part de l'animateur, mais non corrigée par les invités) laisse penser qu'il s'agit d'une recherche de l'Université de Genève. En effet, cette Université est mentionnée à deux reprises (par rapport au doctorat de Sylvie Dethiollaz et par rapport au fait que Nicolas Fraisse s'est rendu au laboratoire de l'Université de Genève pour se faire tester) alors que l'ISSNOE n'est jamais mentionné en sa qualité de laboratoire privé sans aucune attache universitaire.
Problèmes méthodologiques

Ensuite, quelques remarques sur le protocole en lui-même. Tout d'abord, un petit rappel du b.a.-ba. (d'après le cours de psilogie du québécois Louis Bélanger). Une expérience de parapsychologie est constituée de quatre éléments : un sujet, une cible, un obstacle et un expérimentateur. L'expérimentateur doit garantir que l'obstacle ne permet pas au sujet d'accéder à ou d'influencer la cible par un moyen conventionnel, afin de pouvoir conclure qu'il se passe quelque chose de non-ordinaire (l'hypothèse d'une anomalie ou "psi"). L'analyse d'une expérience consiste donc à analyser chacun de ces éléments et leurs relations croisées. Nous relevons ci-après plusieurs défauts qui laissent à penser que, dans cette expérience, les expérimentateurs n'ont pas suffisamment contrôlé l'obstacle entre le sujet et la cible, malgré quelques efforts dans ce sens.
  • En annexe du livre (p. 229-230), on trouve des détails sur le protocole qui étaient déjà présentés dans la première publication, centrée sur l'aspect technique. Ils concernent la préparation du matériel qui a servi de cible. 100 séries de 4 images avaient été constituées par Sylvie Dethiollaz, apparemment sans s'appuyer sur une base de données standardisée d'images. Les images étaient placées dans une enveloppe cartonnée numérotée sous deux formats : en format A5 (images) dans des enveloppes jaunes (dites "opaques") et en format A6 (photos) dans des enveloppes blanches. Chaque image comportait en bas à gauche des informations cruciales : son numéro de série et trois mots censés décrire l'image. Le numéro du lot était indiqué sur l'enveloppe jaune et sur la pochette cartonnée. Le matériel n'étant pas spécifié, je présume (en attendant d'être détrompé) qu'il s'agit d'enveloppes kraft ordinaires. Or, celles-ci ne peuvent pas être qualifiées d'opaques car elles offrent en vérité un certain degré de transparence, qui dépend de la position du contenu et de la luminosité. L'exemple ci-dessous illustre cette transparence avec la même image dans l'enveloppe dans deux conditions de luminosité ("CIBLE A-1" est lisible à droite, cliquez pour agrandir). Cette transparence fonctionne également lorsque les images sont "face en bas" et apparaissent inversées.


  • A ce niveau, on peut regretter l'utilisation de ce matériel qui peut donner lieu à des fuites sensorielles : marquage des enveloppes et transparence permettent d'imaginer un scénario frauduleux, d'autant plus que le sujet avait la possibilité de manipuler les enveloppes. En effet, on nous dit qu'il tenait ses mains légèrement au-dessus des enveloppes, mais a) on ne peut garantir que la situation d'observation permette de détecter toute manipulation car cela dépend de la position des observateurs et des distractions, or leur attention devait être maintenue en continu pendant des séquences de 15 minutes 20 fois dans la journée ; b) le sujet avait de toute façon la possibilité de manipuler l'enveloppe au moment de donner sa réponse et de signer sur l'enveloppe. L'huissier a procédé à une vérification à la loupe de l'intégrité des enveloppes dans l'après-coup, mais il existe certains marquages discrets ou éphémères, connus des prestidigitateurs, qui auraient pu lui échapper. (L'intégralité du matériel a été conservé jusqu'en décembre 2014.)
Exemple d'image-cible et d'enveloppe jaune (p. 164 du livre)

  • Marcel Odier (qui a initié le protocole) avait pour tâche de vérifier la correspondance images-photos, de retourner et mélanger les images (manuellement, c'est-à-dire sans garantir un aléatoire vrai), de les introduire face en bas dans les enveloppes jaunes A5 qu'il fermait. On ne comprend pas pourquoi il doit y avoir un mélange à cette étape puisque l'image cible est choisie aléatoirement à l'étape suivante. Des cibles sélectionnées par un ordinateur, sans contact avec le sujet et, mieux encore, sélectionnées après les choix du sujet (condition "prémonitoire") sont considérées comme apportant plus de garanties et sont donc davantage utilisées dans la recherche parapsychologique. Une sélection des cibles qui est opérée manuellement par l'un des expérimentateurs (ou une personne directement impliquée dans la conception et les résultats de l'expérience) peut introduire des biais et laisser place à un scénario de fraude. On invoquera immédiatement la probité sans faille de feu Marcel Odier, mais devoir se reposer sur la confiance dans les expérimentateurs ruine totalement l'analyse objective du protocole. M. Odier s'est volontairement abstenu d'assister aux séances, toutefois son épouse Monique était présente systématiquement en tant qu'"opératrice". Des soupçons de collusion glisseront logiquement jusqu'à elle, alors que sa probité est tout aussi estimable.
  • Ce même matériel était ensuite remis à l'huissier Maître Breitenmoser. L'autorité d'une personne assermentée apporte une certaine garantie, mais cela ne permet nullement d'écarter toute collusion, même lorsqu'on nous vante la réputation locale de probité de cet huissier (p. 165). Maître Breitenmoser avait pour tâche de sélectionner au hasard 20 séries (sur 100) et une enveloppe (sur 4) pour chacune des séries. On ne nous explique nulle part comment le hasard a été simulé pour ces deux opérations. Il scellait ensuite les enveloppes cibles et les plaçait dans une grande enveloppe blanche numérotée, accompagnée des 4 photos de la série dans une petite enveloppe blanche (qui, elle, n'était pas scellée, selon la description donnée). On nous explique que Maître Breitenmoser a assisté à la cinquième journée de test (24 essais) alors qu'il connaissait les cibles ou pouvait les connaître. (Précisément, il lui était possible de regarder les images avant de les sceller, même s'il affirme le contraire ; et il connaissait ces images qui avaient été utilisées pour une expérience antérieure à laquelle il avait déjà pris part.). Il peut alors communiquer des informations qui guident le sujet, même s'il ne le fait pas verbalement et volontairement. Puisqu'il a souhaité un "strict partage des tâches" de chacun, on ne comprend pas pourquoi il a été accepté dans ce rôle qui était normalement dévolu aux seuls expérimentateurs, et non à une personne qui a sélectionné les cibles en amont. Sa présence seule devrait conduire à l'invalidation de ces 24 essais (dont 18 avec succès) car elle exclut la condition de double aveugle.
  • L'enveloppe blanche (probablement tout aussi relativement transparente, mais du moins non qualifiée d'opaque) avec les 4 images de chaque lot était également fournie par l'huissier. Elle était remise au sujet une fois qu'il avait donné sa réponse. Toutefois, on ignore où se trouve cette enveloppe blanche durant tout ce temps. Celle-ci n'est ni scellée ni vérifiée après-coup et elle pourrait faire l'objet de manipulations sans que personne ne s'en rende compte. Par exemple, une image peut être subtilement marquée par un complice ou la façon de remettre l'enveloppe au sujet peut, par convention frauduleuse, lui donner un indice (le pouce sur le coin haut gauche de l'enveloppe indique l'image 1 du lot, etc.). Si l'enveloppe blanche est dans la même pièce, qu'est-ce qui garantit que le sujet ne peut obtenir d'indices sur les photos qu'elle contient ? Ces indices, combinés par exemple aux réactions des opérateurs (dont Sylvie Dethiollaz qui a préparé les images) peuvent fournir des informations au sujet pour le guider. En effet, cela ce combine avec le problème des interactions verbales et non-verbales entre le sujet et les opérateurs, dont au moins l'un d'eux a choisi les images, les a constitué en lots qu'il a numérotés. (Ainsi, Sylvie Dethiollaz dit à certaines occasions avoir rapidement pensé à une image-cible précise lorsque le sujet a commencé à l'évoquer.) Nous ne sommes donc pas strictement dans une condition de double aveugle. Dès lors (quand bien même ce scénario est extrême), si le sujet parle d'un pingouin et que l'opérateur sait qu'il n'y a pas d'images de pingouin dans ce lot, il peut faire involontairement une grimace qui dissuade le sujet de poursuivre dans cette voie. 
  • Ces problèmes d'interactions verbales et non-verbales sont sous-estimés par les chercheurs. En effet, ils affirment à plusieurs reprises ne pas avoir verbalisé leurs choix de réponses lorsqu'ils pensaient avoir reconnu l'image-cible et le sujet non. Toutefois, ils peuvent avoir influencé ses choix par leurs attitudes non-verbales (souffle, battement cardiaque, sueurs, orientations du regard...) et ceci de manière involontaire et passée inaperçue pour eux.
  • Le protocole initial impliquait un dépouillement et un feed-back donné au sujet après les 100 essais prévus. Or, après 76 essais (4e journée de test), l'huissier a dépouillé les résultats et les a communiqués au moins à M. Marcel Odier. Les scores extraordinaires les ont convaincu de continuer et ont incité l'huissier à prendre un nouveau rôle d'expérimentateur pour exclure toute fraude. Le problème est que ce dépouillement prématuré est une mauvaise pratique de recherche dite "arrêt optionnel" (optional stopping), notion qu'on applique aux recherches qui s'arrêtent après un nombre arbitraire d'essais. Ici, les 100 essais ont été finalement réalisés comme convenus au départ. Mais cela a été fait alors que les chercheurs étaient informés d'un score hautement significatif en cours. C'est donc du "non-arrêt optionnel" puisqu'on peut présumer que l'expérience aurait pu être arrêtée si le score avait été différent. Les chercheurs affirment n'avoir pas informé le sujet de l'état des résultats. Toutefois, la présence inopinée du huissier et sa communication au moins non-verbale ont pu fournir des indices au sujet et aux opérateurs sur l'état des résultats.
  • Les chercheurs nous expliquent que le protocole impliquait 20 essais par journée d'expérience. Or, à la fin de la 4ème journée, ils en étaient seulement à 76 essais au lieu de 80 attendus. Cet écart est expliqué par un retard lié aux échanges durant les pauses (Edit: merci Stéphanie Taveneau). Toutefois, ce non-respect du protocole introduit des questions : qu'était-il fait des enveloppes non utilisées ? Quelles garanties a-t-on apporté pour qu'elles ne soient pas manipulées ? (A priori, j'imagine que toutes les enveloppes, qu'elles soient descellées ou non, étaient remises au huissier chaque soir d'expérience. Mais cette précision n'apparaît nulle part.)

Conclusion

Pour synthétiser mes critiques : 1) absence de publication scientifique ; 2) surmédiatisation en tant que "recherche scientifique" ; 3) l'obstacle n'est pas garanti par les expérimentateurs car : on ne sait pas explicitement comment l'image-cible est sélectionnée "aléatoirement" ; l'image-cible est placée dans une enveloppe qui, selon toute apparence, n'est pas totalement opaque ; le sujet manipule l'enveloppe contenant l'image-cible ; on peut difficilement garantir l'intégrité des enveloppes ; on ne sait pas ce qui advient de l'enveloppe non-scellée contenant les quatre images du lot dont la cible ; au moins un des opérateurs présents connaît les images sélectionnées dans chaque lot ; le sujet peut être guidé par le comportement verbal et non-verbal des opérateurs ; la personne chargée du choix de la cible a assisté à 24 essais qui sont intégrés dans le calcul final alors qu'ils sont contaminés par sa présence ; il manque certaines opérations pour aider à prévenir les fraudes ; 4) le dépouillement prématuré des résultats est une mauvaise pratique de recherche et le protocole a connu des variations pouvant potentiellement introduire des biais.

Ces critiques ne visent aucun des participants à cette expérience. En effet, elles ne portent que sur un protocole à partir des informations parcellaires recueillies dans des pré-rapports. Je mettrais à jour cette page dès que j'aurais de nouvelles informations et j'invite toute personne ayant un avis contraire et argumenté à me contacter.
A titre personnel, je suis convaincu de la sincérité et de l'honnêteté de tous les participants à cette expérience. Mais cela n'engage malheureusement que moi. D'après Thomas Gieryn[i], les controverses scientifiques peuvent être assimilées à des "concours de crédibilité". Il ne manque jamais d'adversaires qui tentent de décrédibiliser les chercheurs en parapsychologie par tous les moyens possibles, tandis que ces mêmes chercheurs développent des stratégies de légitimation, en créant des alliances, en stimulant des foules enthousiastes, etc. Les règles du jeu scientifiques passent souvent au second plan. Mes remarques ne portaient que sur le respect ou le non-respect de ces règles dans le cadre de cette expérience conduite de mai à juillet 2013. Et mon souhait est le même que le professeur Jacques Neirynck, un observateur privilégié de cette expérience : que celle-ci soit reproduite par d'autres expérimentateurs (avec le même sujet ou un autre) en corrigeant les défauts méthodologiques de l'expérience initiale. Je pense d'ailleurs que ces défauts sont à la fois majeurs parce qu'ils relativisent le succès obtenu initialement, et mineurs parce qu'ils peuvent facilement être corrigés lors d'une reproduction de l'expérience, sans que cela ne vienne compromettre les excellentes conditions écologiques qui ont permis la production des phénomènes observés.

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Je remercie Jocelin Morisson pour son autorisation à publier une analyse critique de mon texte. Une réponse a été publiée ici.

Lettre ouverte de Jocelin Morisson à Renaud Evrard (30/03/2017)

Lettre ouverte à mon ami Renaud Evrard à propos de sa critique de l'expérience de clairvoyance réalisée à l'Institut Suisse des Sciences Noétiques (http://psychologie-heterodoxe.blogspot.fr/…/quelques-remarq…)

Cher Renaud, ta critique de l’expérience de clairvoyance de l’Issnoe avec Nicolas Fraisse appelle à son tour quelques commentaires, ainsi que tu le souhaites toi-même. Le premier porte sur tes motivations. Après avoir donné quelques miettes aux « tenants » et à tes amis parapsychologues en leur concédant en peu de lignes les qualités de cette étude, tu nourris grassement tes amis « sceptiques » en développant longuement ce qui constitue à tes yeux des « points négatifs ». Bien sûr ces derniers sont ravis de pouvoir balayer sans autre forme de procès des résultats d’expérience qui ne sont pas qu’un caillou dans leur chaussure mais bien un énorme pavé dans la mare de leur jardin. Tu as beau préciser à la fin que tu es pour ta part convaincu de la sincérité de tous les participants, tu ne peux ignorer l’effet produit par cette façon de ménager la chèvre et le chou qui octroie 10% à la chèvre et 90% au chou. Tout ceci ne serait pas très grave si cette entreprise ne constituait pas au final un cas typique de « fish drowning » (noyage de poisson), de « face veiling » (voilage de face), voire de « baby throwing with the bath’s water » (jet du bébé avec l’eau du bain). En dépit de la qualité de ton argumentation, tu commets d’abord quelques erreurs dont la première est de dire que le compte-rendu de l’expérience a été publié en français dans le bulletin n° 5 de la fondation Odier. Non, ce bulletin présente aussi la version en anglais du compte-rendu. Ensuite, la critique évoque la parution du livre et les passages de Sylvie Déthiollaz et NF dans les médias, mais il s’agissait alors de parler des recherches sur l’OBE sans mention de cette expérience de clairvoyance. De fait, beaucoup de commentaires sur Facebook montrent qu’il y a confusion entre les deux. Parler d’un livre « dont les objectifs sont ouvertement commerciaux » est par ailleurs spécieux puisque c’est le cas de tous les livres mais passons. L’émission d’Ardisson est le résultat d’un montage et tu ne peux pas savoir si les invités ont démenti ou pas telle ou telle erreur de l’animateur, comme celle qui fait mention de l’université de Genève. Sur les problèmes méthodologiques, l’histoire des enveloppes jaunes, dites « opaques », qui t’amène à présumer qu’elles sont des enveloppes kraft ordinaires frise la malhonnêteté. Tu l’illustres par une image où tu tiens une telle enveloppe devant une fenêtre pour en deviner le contenu à contre-jour, comme si Nicolas avait eu le loisir d’effectuer ce genre de manipulation devant les expérimentateurs, alors qu’il est bien dit qu’il ne touchait pas les enveloppes. L’argument consistant à dire qu’il les touchait au moment de les signer est archi-spécieux puisqu’à ce moment là il avait déjà donné sa réponse. Tu écris plus loin à propos de la sélection des cibles que « devoir se reposer sur la confiance dans les expérimentateurs ruine totalement l’analyse objective du protocole », en évoquant une sélection par ordinateur. On hallucine. Comment faisaient les expérimentateurs avant l’ordinateur ? Sous-entendre qu’un scénario de fraude est possible via une collusion entre M. et Mme Odier est navrant, pour dire le moins. Décédé à plus de 90 ans, il est clair que M. Odier était de « l’ancienne génération ». Passons, puisque tu me diras que tu ne fais que souligner des faiblesses protocolaires, sans autre intention. Je redis que tu ne peux pas ignorer les effets de ces arguments sur certains esprits beaucoup moins « objectifs » que toi. Puis il est fait mention de la présence d’un huissier, mais ça ne vaut rien non plus, notamment parce qu’il a assisté à une journée de test, d’ailleurs le double aveugle n’est pas respecté parce que SD avait constitué les lots. Franchement, la rigueur c’est bien, mais là on est dans l’aveuglement. Tu penses que les 79% de réussite de NF pourraient s’expliquer par les signes non-verbaux envoyés par les expérimentateurs ou la « fuite sensorielle » des enveloppes pas tout à fait opaques ou ce genre de choses dont « l’arrêt optionnel ». Comme dit plus haut c’est du « fish drowning » parce que cette critique omet complètement le caractère extraordinaire de la façon dont NF obtenait les informations. Le fait qu’il se soit mis à entendre une voix à partir du 8e test, en fait plusieurs voix se fondant en une seule, intervenant au motif que « ça n’allait pas assez vite », puis que cette voix ait donné des informations sous formes de poèmes que NF aurait alors composé spontanément alors que c’est, a priori, au-delà de sa portée ; le fait que certaines informations provenaient d’extraits de chansons ou même de mélodies qu’il ne connaissait pas, qui n’étaient en outre pas du tout de sa génération. Le fait que les derniers tests soient allés encore plus vite parce le temps manquait et que « la voix » se contentait de lire, semble-t-il, les mots clés écrits au dos de l’image, ce qui est illustré par le fait que NF ait mal entendu par exemple « serpent boa » et qu’il ait compris « serpent de bois ». Tout cela est complètement ignoré par ta critique, forcément parce qu'elle porte sur autre chose, alors que c’est bien là l’essentiel et du coup elle procède du détournement d'attention. On peut brandir le spectre de la rigueur scientifique mais là il devient l’arbre qui cache toute la forêt. On peut s’enorgueillir de s’être affranchi du « paradigme spirite », tellement archaïque, mais les questions ultimement posées par les phénomènes dits paranormaux ne sont pas « la voyance ou la télépathie existent-elle ? ». La question est « qui sommes-nous ? » ou bien « que sommes-nous ? ». On peut réduire à néant l’expé de l’Issnoe en la considérant isolément et en s’en tenant uniquement à ces points de protocole, et moi aussi je loue la rigueur scientifique, mais c’est passer complètement à côté de l’histoire, des 10 ans de recherches sur l’OBE qui ont elles aussi produit des données, de la démonstration de NF devant des caméras de tv suisse avec le « test de la boulangerie », qui bien sûr n’a pas de valeur scientifique. Cependant, un important corpus de données ou d’observations qualifiées d’anecdotiques va dans le même sens, et le fait est qu’il reste parfaitement rationnel de considérer que, oui, la conscience pourrait être capable de s’extraire ou de s’affranchir du corps pour accéder à des informations à distance, hors d’atteinte des sens, et que, oui, il est envisageable qu’en fait nous ayons bel et bien une « âme » qui survive à la mort du corps, qui continue d’exister ailleurs que dans le monde matériel, et qui soit capable de communiquer avec certaines personnes dans ce monde matériel, etc. Paradigme spirite ou pas, poser ces questions relève bel et bien de la raison (voir à ce propos la préface de Frédéric Lenoir au livre de SD et CC Fourrier), et c’est bien un mal français que de ne pas vouloir le voir. Des chercheurs américains comme Dean Radin ou Russel Targ n’ont aucun problème pour reconnaître que ces recherches portent ultimement sur des questionnements de nature spirituelle, quand ici on se cache derrière le petit doigt de la raison, ce qui constitue une faute épistémologique, un fourvoiement et un dévoiement de la raison. Enfin bref. Bien à toi.







[i] Gieryn, T. (1999). Cultural Boundaries of Science: Credibility on the Line. Chicago, Il : University of Chicago Press 




samedi 18 mars 2017

Louis Favre et Emile Tizané - 2 publications dans le Journal of Scientific Exploration

Le volume 31(1) du Journal of Scientific Exploration, publication de la Society for Scientific Exploration, fait paraître deux de mes travaux.

Le premier est un article (déjà paru en allemand sous une forme similaire grâce à Gerd Hövelmann) sur le psychologue Louis Favre.


Evrard, R. (2017). Anomalous phenomena and the scientific mind: Some insights from “psychologist” Louis Favre (1868-1938?). Journal of Scientific Exploration, 31(1), 71-83.

Abstract
At the turn of twentieth century, in France, psychical research wasn’t fully separate from psychology. The Institut Général Psychologique (IGP) was created in 1900 as an attempt to integrate the scientific study of anomalous phenomena into modern science. One forgotten actor in this society was “psychologist” Louis Favre, a polymath researcher with a passion for scientific methodology and the “scientific mind.” He developed a pioneering experiment on the influence of magnetic passes on plants and microbes, with a control group. He also participated in IGP’s 3-year study of physical medium Eusapia Palladino, from which he made general suggestions for the study of anomalous phenomena. Later in life he classified this study as at the forefront of scientific dynamics, naming this field “Anomalialogy of phenomena.” According to him, this field is highly compatible with the scientific method, and may even be the best place to train our “scientific mind.” 

Keywords: history of parapsychology—Louis Favre—Eusapia Palladino—anomalistics—Institut Général Psychologique (IGP)


Le second est une recension du dernier livre de Philippe Baudouin.


Evrard, R. (2017). Review of Les forces de l’ordre invisible. Émile Tizané (1901-1982), un gendarme sur les territoires de la hantise by Philippe Baudouin. Journal of Scientific Exploration, 31(1), 114-121.