vendredi 25 mars 2016

Avis de Carlos Alvarado sur le livre

Carlos S. Alvarado est docteur en psychologie, chercheur associé à la Parapsychology Foundation et à l'AZIRE. Il publie régulièrement dans le champ de l'histoire de la psychologie et des recherches psychiques (voir son blog). Il m'a autorisé à communiquer son avis sur mon livre La légende de l'esprit : enquête sur 150 ans de parapsychologie.

En français

Ce livre sur l'histoire de la recherche psychique française n'a pas d'égal. En dépit des travaux précédents par Brower, Lachapelle, Le Maléfan, Méheust et Plas, Evrard a beaucoup à dire sur un certain nombre d'individus, d'institutions et de problèmes.
L'Enquête comporte dix chapitres au cours desquels l'accent est mis sur le travail d'un chercheur : Pierre Curie, Agénor de Gasparin, Pierre Janet, Eugène Osty, Timothée Puel, Charles Richet, René Sudre, René Warcollier, et deux personnages plus tardifs : François Favre et Nicolas Maillard. Evrard ne fait pas que se centrer sur l'oeuvre parapsychologie de ces individus, mais aussi sur divers aspects sociaux et institutionnels relatifs à eux et à leurs époques. Par exemple, dans le chapitre sur Richet, l'auteur présente de nombreuses informations sur la façon dont Richet était perçu, et au sujet des controverses entourant son travail, dont ses observations des matérialisations du médium Marthe Béraud, qui lui valut de fortes critiques par de nombreux auteurs supposant qu'il avait été trompé.
Evrard présente de nombreuses informations sur d'autres individus tout au long du livre. Par exemple, il discute des contributions de Marc Thury et Joseph Maxwell, intégrées dans les chapitres sur de Gasparin et Richet, respectivement.
Les discussions fascinantes à propos de tous ces chercheurs offrent un panorama fascinant sur le passé, constitué tant par leurs recherches que par l'influence des facteurs personnels, sociaux et professionnels. Lorsqu'Evrard explore ces questions, il fournit beaucoup d'information sur des événements tels que les congrès internationaux de psychologie et la présence de la recherche psychique dans leur programme, ainsi que des indications sur plusieurs institutions importantes (dont l'Institut général psychologique et l'Institut métapsychique international).
De plus, Evrard a beaucoup à dire sur d'autres problèmes d'intérêt général qui intéressent ceux qui se passionnent pour l'histoire. Ainsi, le problème des distorsions du passé (dont le présentisme, le problème des "grands hommes") et le sujet de la démarcation et de la réflexivité. Il y a également beaucoup d'éléments sur les interactions entre psychologie et parapsychologie.
La grande valeur de ce travail réside dans la force combinée de la richesse descriptive quant à la recherche parapsychologie, de ses aspects sociaux, et de la reconnaissance des questions sociologiques et épistémologiques associées à ce sujet. Bien que ces problèmes ne soient pas résolus, comme Evrard en est conscient, il éclaire largement l'arrière-plan complexe de la métapsychique française et le développement de la parapsychologie en général.

In English

The book is a history of aspects of French psychical research that has no equal. In spite of the previous work of authors such as Brower, Lachapelle, Le Maléfan, Méheust, and Plas, Evrard has much to say about a variety of individuals, institutions and issues.
Enquête has ten chapters in which the author emphasizes the work of : Pierre Curie, Agénor de Gasparin, Pierre Janet, Eugène Osty, Timothée Puel, Charles Richet, René Sudre, René Warcollier, and two later figures: François Favre, and Nicolas Maillard. Evrard’s discussion not only focuses on the actual parapsychological work of these individuals, but also on various social and institutional aspects related to them and to their times. For example, in the chapter about Richet the author presents much information about how Richet was perceived, and about controversies surrounding his work, such as his observations of materializations with medium Marthe Béraud, which brough him much criticism from many writers that assumed he had been deceived.
In addition Evrard also presents much information about other individuals throughout the book. Examples are discussions of Marc Thury and Joseph Maxwell, features in the chapters about de Gasparin and Richet, respectively.
Fascinating discussions of all these figures present a complex picture of the past, one formed as much by the influence of personal, social, and professional factors, as by the actual work conducted. While Evrard explores these issues he also offers much information about events such as the international congresses of psychology and the presence of psychical research in their programs, and about several important institutions (e.g., Institut Générale Psychologique,  Institut Métapsychique International).
Furthermore, Evrard has much to say about other issues of general interest for those seriously interested in history. These include issues that distort views of the past (e.g., presentism, «great man» history), and the topic of demarcation and reflexivity. There is also much about the interactions of psychology and parapsychology.
The great value of this work lies in the combined strength of both the rich description of the actual psychical work, its social aspects, and the recognition of the sociological and epistemological issues associated with the subject. While the problems are not solved, as Evrard is aware of, he throws much light on the complex tapestry of French metapsychics, and on the development of parapsychology in general.

vendredi 18 mars 2016

Interwiew sur idFM le 21 mars 2016

Joëlle Vérain m'a interviewé sur idFM pour son émission "Au-delà du miroir", le lundi 21 mars 2016 de 21h à 22h, à l'occasion de la parution de mon livre. Vous pouvez retrouver l'émission ci-dessous (52 minutes).



samedi 12 mars 2016

Version collector du livre à commander !

Les éditions Trajectoire proposent une édition collector de mon livre La légende de l'esprit : enquête sur 150 ans de parapsychologie au même prix que l'ouvrage disponible en librairie. Son originalité est double :
  • une couverture alternative, avec une illustration de l'artiste Laurent Berman ;
  • un cahier photo de 16 pages en noir et blanc, conçu en collaboration avec Yves Bosson, de l'Agence martienne, photothèque spécialisée dans l'imaginaire scientifique.



Attention, je ne dispose que d'un nombre limité d'éditions collector !

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vendredi 4 mars 2016

Quand la parapsychologie tue

Il y a quelques temps, un essai clinique à Rennes a mal tourné, faisant un mort et plusieurs victimes. Des enquêtes sont en cours.
Depuis le 3 mars 2016, une hypothèse est diffusée dans la presse, lancée par le Canard enchaîné : cet essai clinique dissimulait une expérience pseudo-scientifique de parapsychologie ! Cette hypothèse repose sur le rapport du Dr Christian Marescaux, ancien chef de l’unité neurovasculaire de Strasbourg connu pour être un lanceur d’alerte, rapport qu’il a rédigé à la demande de l’avocat de la famille du participant décédé.
Cette hypothèse est intéressante, et n’a pas manqué d’être relayée par de nombreux médias, notamment Sciences et Avenir. Elle illustre parfaitement les rapports contemporains entre la société française et la parapsychologie. Mais sur quoi repose-t-elle ?

La fondation Bial et le paranormal

Pour le Dr Marescaux, après analyse du protocole (disponible ici), il y a vraisemblablement eu des erreurs dans la vitesse d’administration du produit, et dans la réaction tardive des chercheurs face aux premiers symptômes. Il trouve également suspect le but thérapeutique de l’étude, qui ne lui apparaît pas clair, et le fait que le produit soit testé pour une gamme très large de 14 maladies. De cela il infère son hypothèse principale : cet essai clinique poursuivait un but caché, tester une substance développant les capacités parapsychologiques !
En réalité, cette hypothèse a déjà été soulevée par des « experts » anonymes consultés par le journal allemand Deutsche Apotheke Zeitung, en date du 31 janvier 2016.
Le lien est évident : la fondation Bial, associée aux laboratoires pharmaceutiques Bial responsables de l’essai clinique, finance des recherches en parapsychologie. Pour dire vrai : c’est le plus important investisseur privé pour ce champ minuscule depuis plus d’une décennie ! Le président de Bial, Luis Portela, a même été fait membre d’honneur de la Parapsychological Association pour son aide précieuse.
En France, comme le signale Sciences et Avenir, la fondation de l’Institut métapsychique international a bénéficié de plusieurs bourses (en fait, 4 depuis 2004) pour des recherches expérimentales, appliquées et théoriques dans ce champ aux frontières de la science. Bien évidemment, la fondation Bial prend soin de financer également des recherches neuroscientifiques et psychophysiologiques de pointe. Sa page d’accueil liste 537 projets financés, soit 1200 chercheurs de 25 pays, avec la publication subséquente de 759 articles, en grande majorité dans des revues à très haut facteur d’impact. Les projets sont sélectionnés sur des critères scientifiques par des chercheurs reconnus (généralement des universitaires). Parapsychologues et scientifiques mainstream se côtoient dans les colloques organisés régulièrement par Bial depuis 1996. Et c’est à partir de là que les préjugés font le reste…

Parapsychologie, science dangereuse

En France, la parapsychologie est considérée comme une pseudo-science. J’explique dans mon livre La légende de l’esprit :enquête sur 150 ans de parapsychologie (Trajectoire, 2016) pourquoi cette discipline a été amenée à évoluer en marge du monde académique, après une période de côtoiement avec la communauté scientifique, en particulier dans le champ de la psychologie.
Néanmoins, ce point de vue n’est pas partagé partout et par tous. Les parapsychologues avancent plusieurs arguments pour montrer que leurs recherches sont légitimes et que leur assise institutionnelle est tout à fait respectable. L’organisation professionnelle de la Parapsychological Association fait partie de l’American Association for the Advancement of Science depuis 1969 ; une douzaine de départements universitaires ont des unités de recherche et d’enseignement sur la parapsychologie et la psychologie anomalistique rien qu’au Royaume-Uni ; les publications parapsychologiques se retrouvent de plus en plus dans des revues mainstream en psychologie, en physique et dans d’autres domaines. Autant de constats objectifs qui sont très gênants. Il est plus simple de croire que parapsychologie rime nécessairement avec mauvaise science, qu’il n’est pas envisageable d’aborder rigoureusement ces sujets sans tomber dans la crédulité et la fraude. Il ne faut pas pousser bien loin pour y discerner une science dangereuse… Bref, les préjugés contre la parapsychologie sont, en France, l’une des choses les mieux partagées.

L’anandamide, molécule psi

Autre élément du dossier : la molécule étudiée, sous le nom de code BIA 10-2474, favorise la production d’un endocannabinoïde, substance déjà présente à l’état naturel dans le cerveau. L’un des endocannabinoïdes baptisé « anandamide » a déjà été associée à des vécus étranges. Pour le Canard enchaîné, cette association est le fait de mystiques bouddhistes et d’illuminés de la parapsychologie. Vraiment ? Pour le vérifier, j’ai contacté mon collègue David Luke, Senior Lecturer en Psychologie à l’Université de Greenwich, près de Londres. Il est l’un des spécialistes mondiaux des relations entre substances psychoactives et parapsychologie (cf. Luke, 2012).
Il m’a expliqué que plusieurs enquêtes avaient montré un lien entre l’usage de cannabis (et donc le système récepteur de l’anandamide) et des vécus « paranormaux » (par exemple, Tart, 1993). Mais rares sont les études directes des effets de la marijuana (prises dans ou hors du laboratoire) sur les performances à des tâches expérimentales parapsychologiques, telles que la perception extra-sensorielle sous Ganzfeld (par exemple, Bierman, 2000). En tout cas, selon David Luke (communication personnelle du 04/03/16), rien qui ne distingue l’anandamide d’autres agents psychédéliques ayant des effets similaires. D’autres substances feraient de meilleurs candidats à une étude clinique, comme le dextrométhorphane (DXM), substance relativement inoffensive qui produit la plus haute incidence d’expériences télépathiques en groupe, à sa connaissance.
Passons outre ces remarques et supputons, à l’instar des « experts » allemands et français, que Bial souhaitait tester la possibilité que cette molécule favorise la « fonction psi ». Comment prouver cette intention ? La lecture du protocole ne montre aucun signe d’un tel usage. Les seules mesures effectuées sont physiologiques et cliniques. Il n’y a pas de mesures psychométriques ou psychologiques, et encore moins de tâches parapsychologiques. Les compagnies pharmaceutiques sont obligées de suivre très strictement les protocoles établis. Le Dr Marescaux a-t-il des preuves de déviation du protocole dans un sens parapsychologique ?

Science occulte… ou occultée ?

L’accusation est donc plutôt lourde et les porte-paroles de Bial se défendent de tout amalgame. Je ne souhaite pas prendre la défense de cette compagnie : mon vœu le plus cher est qu’après enquête, les coupables soient condamnés comme le prévoit la loi. Toutefois, cela n’empêche pas de prendre un peu de recul sur le raisonnement associé au rapport du Dr Marescaux.
On a donc d’un côté une accusation concernant une compagnie pharmaceutique qui a le tort de s’engager ouvertement et officiellement comme soutien de la parapsychologie scientifique. Et cette même accusation qui se prolonge dans la dénonciation de recherches occultes, faites en douce, dans des labos français, au mépris de toutes les règles. Quel intérêt pour Bial ? Il suffit de regarder son fonctionnement global vis-à-vis des recherches parapsychologiques : le soutien que la fondation apporte vise à faire reconnaître ce champ, à l'extraire de la marginalité où il se trouve encore, surtout dans des pays comme le nôtre, au cas où il y aurait quelque chose d’intéressant à y découvrir. Toutes les recherches sont valorisées, notamment par des publications dans des revues à comité de lecture. Pour quel motif effectuer des recherches occultes qui ne pourront jamais être valorisées de la sorte ?
Une anecdote – qui ne prouve rien, mais questionne néanmoins – : David Luke m’a confié que plusieurs de ses projets pour tester les liens entre substances psychoactives et paranormal ont été rejetés par la fondation Bial (qui ont accepté d’autres de ses projets : cela n’a rien à voir avec ses compétences). Ceux qui glissent facilement du côté des théories du complot ont de quoi verser de l’eau à leur moulin : Bial ne souhaiterait pas officialiser ses recherches sur des molécules miracles, pour mieux les pratiquer dans la contrebande…
J’ignore ce qu’il en est réellement, je n’ai pas le fin mot de l’histoire et je serais heureux que les « experts » dévoilent les éléments sur lesquels repose leur théorie conspirationniste. Je respecte les lanceurs d’alerte, mais ils sont aussi libres que responsables. Il est tout à fait dommageable de désigner des coupables, surtout quand ceux-ci sont des bouc-émissaires de premier choix. Quelle différence entre un préjugé anti-parapsychologique et d’autres préjugés racistes ? (Point Godwin atteint) S’il fallait condamner tous les scientifiques qui ont eu le malheur de s’intéresser à la parapsychologie, quelle hécatombe ce serait ! Que deviendrait le neurologue Christian Marescaux sans l’EEG de Hans Berger, dont la découverte est due à l’expérience paranormale qu’il a vécue et qui l’a mis sur la voie des « ondes de la pensée » et de « l'énergie psychique » (Millett, 2001) ?



[MAJ 09/03/16] Quand la parapsychologie nazie tue

Je pensais avoir atteint tout seul le point Godwin, mais on a attiré mon attention sur une interview donnée par le Pr. Marescaux à France 3 publiée le 4 mars 2016. Il y réitère certaines affirmations infondées, notamment que la fondation Bial a « pour seul intérêt la parapsychologie », tout en prétendant être légitime à poser la question du lien entre l'essai clinique et la parapsychologie, même s'il n'a pas de réponse [c'est-à-dire, en vérité, « pas de preuve »]. A la fin de l'interview, il associe Bial, la parapsychologie et le nazisme, en faisant mine de citer un document associé au protocole : 
     « Une des publications sponsorisées par Bial sur l’historique de la parapsychologie se réfère aux travaux qui ont été faits dans le Reichuniversität de Strasbourg entre 1941 et 1944 (…) Dans la communauté scientifique, il est interdit de se référer aux travaux qui ont faits par les médecins allemands sous contrôle de la médecine nazie dans cette période-là. Voir que l’origine de la parapsychologie, c’est les travaux qui ont été faits à Strasbourg sous l’occupation nazie, et que ça  ne gêne pas Bial, me paraît hallucinant. » 
Quelques remarques s'imposent :

  • Le fait qu'on puisse s'intéresser à l'histoire de la parapsychologie à la période nazie n'équivaut en rien à l'idée que l'origine de cette discipline soit à chercher à cette période. La parapsychologie moderne est née d'un rassemblement de savants du Trinity College de Cambridge qui ont fondé en 1882 la Society for Psychical Research (toujours active), en ayant été précédé en France par quelques pionniers, comme je le décris dans mon livre
  • L'ouvrage auquel le Pr. Marescaux fait probablement référence est le travail approfondi du professeur d'histoire de l'Université de Freiburg Frank-Rutger Hausmann (2006). On n'y trouvera guère un lien entre Bial, le nazisme, l'origine de la parapsychologie et l'essai clinique de Rennes, les recherches de Hans Bender s'effectuant davantage sur un versant psychologique que strictement médical, et jamais pour soutenir les doctrines nazies (résumé en français de ce livre disponible ici).

Le Pr. Marescaux nous abreuve donc de préjugés sans prendre la peine de vérifier ce qu'il avance (sur ce préjugé très français associant nazisme et parapsychologie, voir Méheust, 2004). Que des journalistes transforment ces affirmations en informations les rend complices d'une telle erreur. De son côté, Le Monde a fait le point sur l'enquête sans répéter les spéculations diffusées par Le Canard enchaîné.



Renaud Evrard
Docteur en psychologie
Maître de conférences, Université de Lorraine

Références