mercredi 10 mai 2017

A propos d’une note de lecture critique

Sur Astroemail, on peut trouver une recension critique de mon ouvrage La légende de l’esprit : enquête sur 150 ans de parapsychologie par Claude Thébault. Toute critique est intéressante, néanmoins cela ne doit pas empêcher de développer un dialogue contradictoire.


Le livre est mis dans la catégorie « pour connaisseurs avertis » parce qu’il apparaît « difficilement accessible au néophyte ». Ce point n’est pas à contester puisqu’il ne s’agit pas d’un livre de vulgarisation. Toutefois, l’auteur affirme que les prérequis sont « une connaissance approfondie de l’actualité française de l’entre-deux guerres en la matière ». Puisque le livre couvre une période allant de 1852 à 2002, ce prérequis apparaît limité. L’histoire de la parapsychologie rejoint l’histoire générale, et si des liens sont tissés dans le livre, d’autres pistes peuvent toujours être explorées.

Plusieurs des critiques sont des insinuations qui sont difficiles à analyser : mon ouvrage n’apporterait que des « lumières tamisées » sur la parapsychologie, on pourrait « relativiser bon nombre de [mes] appréciations », le livre manque de « Franchise ». Ces remarques vont être appuyées par des critiques plus concrètes qui sont plus faciles à discuter.

L’une des critiques porte sur l’idée de l’élusivité décrite comme « hilarante », « une hymne à l’élusivité… comme dernière invocation expérimentale de la parapsychologie », « de quoi faire rire les scientifiques », « y compris en apportant au texte une dose de quantique afin de convaincre les nigauds », etc. Il était évident pour moi, lorsque j’ai discuté de l’hypothèse de l’élusivité dans l’une des parties de la conclusion de l’ouvrage, qu’elle était particulièrement difficile à admettre. Néanmoins, je pense avoir introduit celle-ci de façon prudente et justifiée. En effet, la formulation de cette hypothèse était produite vers 1920 par des chercheurs qu’ils soient dits tenants ou sceptiques : c’est un élément déjà présent et dont il fallait rendre compte. Leurs observations recoupent des travaux récents qui ouvrent à une compréhension nouvelle du phénomène. Des chercheurs utilisant le formalisme quantique, mais d’une manière scientifiquement argumentée, ont développé une Théorie quantique généralisée qui prédit ces phénomènes d’élusivité. Ces travaux, publiés dans des revues scientifiques (Axiomathes, Foundations of Physics, etc.) ayant des exigences bien plus élevées qu’un site internet, sont actuellement en cours de confirmation expérimentale, comme je le précisais d’emblée :
« Cette partie extrêmement spéculative nécessite une mise en garde. Beaucoup des idées discutées ci-dessous font actuellement l’objet d’échanges entre des chercheurs de pointe, mais leur vérification empirique est incomplète et sort de notre champ de compétence. »

Un autre argument affirme que je me méprends totalement sur la raison que je donne pour expliquer la marginalisation de la parapsychologie : le scientisme. Tout d’abord, je ne donne aucune explication, et surtout pas monofactorielle, et encore moins en invoquant une notion aussi floue que le scientisme. L’auteur croît savoir que la véritable raison est la loi, ce qui n’est guère surprenant pour un spécialiste de l’approche juridique de l’astrologie. Il cite la loi qui, en 1985, a protégé le titre de psychologue et considère comme délit pénal de se revendiquer psychologue ou apparenté, par exemple para-psychologue. Il cite également des jurisprudences dans lesquelles des prétendus parapsychologues furent condamnés pour escroqueries.
Cet argument apparaît très limité pour expliquer l’évolution de la parapsychologie depuis 1850. Il porte plutôt sur des constats quant aux rapports entre la parapsychologie et la loi, et donc la société. Les pratiques de divination étaient légalement interdites (dans mon livre, je renvoie à ce sujet vers le mémoire de Jean Boudot, La réaction du droit pénal face au paranormal ; DEA de Droit pénal et sciences criminelles de l’Université Lyon III, 1996). Elles ne le sont plus aujourd’hui à ce titre de pratiques divinatoires, mais lorsque, sous des appelations floues et non réglementées, elles transgressent simplement la loi commune.
Toutefois, on ne voit pas quel rapport peut être établi entre ces praticiens du paranormal et les scientifiques étudiant les phénomènes parapsychologiques. Thébault confond visiblement les deux registres. On peut envisager que la parapsychologie scientifique puisse contribuer à réglementer et régulariser ces pratiques, mais en l’absence d’une reconnaissance légitime de cette discipline, il règne un flou important. Il n’existe aucun statut professionnel spécifique (associé à une déontologie opposable) pour les voyants, magnétiseurs, médiums, etc., qui sont simplement soumis à un régime général (voir à ce sujet le livre d’Alexis Tournier, Comprendre la voyance, paru en 2016 également aux éditions Trajectoire).

L’auteur de cette recension ne manque pas d’envoyer plusieurs flèches contre Maud Kristen, célèbre voyante qui a, contrairement à d’autres, accepté de participer à plusieurs expérimentations scientifiques, mais n’a pas remporté le prix-défi d’Henri Broch, situé comme idéal scientifique par Thébault. Il développe également ses autres marottes : pas touche au CSI qui a « débunké » la néo-astrologie de Gauquelin, condamnation obligatoire de la thèse de sociologie de l’astrologue Elizabeth Tessier… Alors que ces points ne sont pas discutés dans mon livre, simplement mentionnés en m’appuyant sur d’autres références. L’ensemble de ces remarques révèle une lecture très orientée de l’ouvrage qui ne reflète aucunement son contenu.

Un autre point concerne la difficulté à lire le livre. Les aspects propres à la mise en page (double colonne en petits caractères) sont le fait de l’éditeur. Ma faute est d’avoir eu trop de choses à dire, ce qui a obligé l’éditeur à trouver un moyen pour faire paraître un tel livre en conservant un prix bas de 25 €.

Mais il y a des difficultés d’un autre ordre, selon Thébault. Il croît savoir certaines choses sur l’histoire de la parapsychologie et laisse à penser que, par son expertise, il peut défaire tout ce que mon livre pourrait lui apprendre. Ainsi, il revient sur l’affaire opposant le pseudo-fakir Tahra Bey au journaliste sceptique Paul Heuzé. Il faut noter que cette affaire est seulement mentionné non nominativement dans mon livre (qui je le rappelle porte sur l’histoire de la parapsychologie scientifique !), même si je renvoie vers les ouvrages d’Heuzé et de Robert Tocquet qui traitent de ce cas et d’autres similaires. Thébault m’accuse de mal situer l’affaire en 1926 : mais je ne la situe pas (puisqu’elle n’est pas discutée) et me contente de faire référence à l’ouvrage d’Heuzé Fakirs, fumistes et cie paru en 1926, et au suivant paru en 1932. En matière de faux-procès, Thébault semble aussi s’y connaître ! Car par ces points de détail, des inexactitudes qui sont en fait les siennes, il suggère mon incompétence. Alors qu’il est complètement en tort, il ne manque pas en effet de généraliser l’argument :
« Un sérieux décalage. On retrouve à d’autres endroits du livre de Renaud Evrard le même laxisme. Le lecteur épris de précision s’en agace en ayant l’impression que la critique anti parapsychologie est traitée avec désinvolture alors que les "figures" du mouvement ont droit à un traitement de faveur. »

Cette suggestion d’incompétence est renouvelée au sujet de l’intérêt de Pierre Curie pour la parapsychologie, auquel je consacre mon 6e chapitre. Et les reproches qui me sont fait laissent encore à désirer. Le premier reproche est que je transcris mal l’attitude de Curie, car celle-ci semble avoir fluctuée entre frilosité et passion curieuse lors de sa participation à l’étude expérimentale de la médium Eusapia Palladino. Or, j’ai justement détaillé séance par séance l’évolution de sa conviction en me basant sur les comptes rendus de séance et sa correspondance personnelle. Son scepticisme pragmatique renforce justement l’intérêt de son cas, qui n’aboutit pas à une conviction irrationnelle ; en effet, il en vient à conclure que la parapsychologie (ou paraphysique) est un domaine légitime dont il annonce qu’il va prolonger l’étude du haut de sa chaire en Sorbonne.
Le second reproche est d’avoir manqué le livre de Georges Lochak qui éclaire une partie des contributions de Pierre Curie dans son domaine, la physique. Je reconnais n’avoir pas été exhaustif pour resituer les travaux parapsychologiques de Curie dans ses travaux de physique et dans la physique de son époque. Néanmoins, je suis loin d’avoir fait « l’impasse » là-dessus comme me le reproche Thébault. J’ai notamment repris tous les commentaires de Curie inspirés par ses recherches sur la médiumnité, ajoutés aux descriptions de sa personnalité et de ses influences, bien qu’il faille noter que Curie n’en était pas encore à une interprétation théorique, préférant largement faire varier les conditions expérimentales pour mieux saisir les proriétés des phénomènes.

Thébault amène encore un autre procès en 1932 contre un vrai-faux alchimiste ayant repris des travaux de Curie : c’est complètement hors-sujet et anachronique. Je comprends ces passages détaillés comme des tentatives pour laisser croire que Thébault a une quelconque expertise sur l’histoire de la parapsychologie scientifique, alors qu’il a une réelle expertise – qu’on ne peut que reconnaître – sur l’histoire judiciaire associée aux pratiques occultes. Qu’il mélange encore ces deux domaines au sortir de la lecture de mon livre est assurément la plus grosse déception produite par sa note de lecture. Heureusement, que les avis d’historiens de la psychologie diffèrent largement du sien (voir dans Psychiatre, neurosciences et sciences humaines et dans le Bulletin de Psychologie).