mercredi 26 décembre 2018

604 : Recherche documentaire

Petit jeu avec les étudiants pour rendre la recherche documentaire plus ludique !

Vous devez donc identifier puis télécharger 10 articles sur les expériences de mort imminente

L'identification peut poser souci quand on ne se souvient plus bien du nom de l'auteur, alors il faut parfois utiliser des astuces tels que :
- faire des recherches avec des opérateurs pour utiliser les informations déjà en votre possession et compléter la référence (n°1, n°5, n°6)
- consultez les bibliographies des articles pertinents (n°2)
- allez directement à la revue en question et faire une recherche dans ses tables des matières (n°3)
- utilisez les mots-clefs de l'article (n°8)
- La notoriété d'un article est indiqué par un indicateur bibliométrique : le nombre de fois qu'il est cité. Il apparaît alors plus facilement quand on tape les mots-clefs d'une thématique sur un moteur de recherche (n°10).

Dans un monde idéal, toutes les productions scientifiques sont également accessibles. Ici vous allez être confrontés aux soucis quotidiens de la recherche documentaire et y remédier uniquement par les voies légales. Pour bien télécharger les articles, quelques astuces :
- un 4e de couverture, cela se trouve facilement. Parfois les éditeurs offrent des bouts de livres ou se les font numériser de force... (n°1)
- il existe des renvois numériques des articles qui se citent entre-eux. Et certaines revues ont opté pour un système d'auteur-payeur qui permet leur libre accès en ligne, avec un icône pour le téléchargement en PDF (n°2)
- la BNF offre une mine d'or pour les chercheurs. Mais le système pour télécharger l'extrait qui nous intéresse est un peu fastidieux : mieux vaut voir grand que petit (n°3)
- certaines revues sont difficilement accessibles, mais parfois rien ne vaut de demander aux auteurs eux-mêmes ! (n°4)
- les revues en ligne et gratuites sont d'excellentes initiatives. Mais les problèmes de format et d'indexation compliquent un peu les choses : persévérance ! 
- les enseignants-chercheurs de l'UL ont l'obligation légale de mettre leurs productions dans des archives ouvertes, sous forme d'article en format pré-publication. Chaque laboratoire possède sa propre page ! (n°6)
- Les portails pour les revues sont nombreux. L'UL dispose d'un outil pour faciliter la recherche de documents. En tapant les bons mots-clefs et en utilisant des opérateurs (dans la barre de recherche puis dans la marge), on filtre les bons résultats (n°7)
- Les mots-clefs sont des descripteurs qui font partie des méta-données d'un article, et facilitent leur accès dans les moteurs de recherche génériques. Il est important de bien les choisir ! (n°8)
- Les réseaux sociaux pour chercheurs n'offrent pas toutes les garanties des services officielles, mais ils permettent certains échanges intéressants (n°9)
- Les articles avec une plus grande notoriété sont souvent facilement accessibles (n°10)

Suite du jeu (2019-2020) :
- La nouvelle norme bibliographique en France répartit les publications par quartiles (de Q1 pour les meilleures à Q4) selon un calcul de leur facteur d'impact, le SRJ. Certaines revues sont non-indexées (NI), parfois parce qu'elles sont trop jeunes, trop vieilles, trop irrégulières ou qu'elles n'ont pas fait la démarche d'indexation. Regardez-bien les étiquettes, elles se répartissent exactement ! (n°11)
- Il y a des revues généralistes sur la mort et les soins palliatifs, et des revues plus spécialisées sur les expériences étranges autour de la mort. Pour un chercheur, il est important que son étude soit lue, citée et valorisée, ce qui peut l'amener à identifier comparer les revues auxquelles soumettre son travail. Il classe donc ces revues ciblées selon un indicateur de leur facteur d'impact et tente de soumettre à la plus élevée puis aux autres (n°12).
- L'Université de Lorraine a mis en place un "Truc et astuces" qui permet d'éviter la fastidieuse manipulation pour passer outre les murs électroniques des revues. La mise en place est technique, mais ensuite on gagne un temps fou avec un sésame en un clic (n°13).
- Les revues de vulgarisation peuvent être de très bonne qualité. C'est notamment le cas en anglais, avec des revues mi-papier mi-numérique qui permettent à des chercheurs reconnus de publier des blogs bien rédigés sur les sujets de leur choix, auxquels la plateforme donne ensuite une forte visibilité. Un sujet marginal comme les EMI y trouve tout à fait sa place, selon des points de vue hétérogènes ! (n°14)
- Wikipédia est une mine d'or pour certains sujets, mais selon les pays et le niveau de controverses, cela peut devenir une source à éviter. Pour contrer certains effets pervers de Wikipédia, des encyclopédies alternatives reprennent le principe premier de l'encyclopédie : demander à de véritables experts de contribuer à transmettre leur savoir. C'est le choix fait par la Society for Psychical Research suite à la réception d'un legs important. Et on peut voir que des aspects négligés par l'un sont considérés comme essentiels dans l'autre. (n°15)
- Il est important de repérer les chercheurs les plus influents dans un domaine, qu'il est inévitable de citer. Plusieurs indicateurs bibliométriques permettent de les classer, avec plus ou moins d'avantages. Il est important de s'y initier, même si tous les chercheurs ne se sont pas inscrits pour être ainsi évalués (n°16-17). Astuce : si vous ne reconnaissez pas une personne sur une photo, Google le peut pour vous !
- Quand on veut suivre l'actualité d'un domaine, on procède à une veille documentaire. Internet permet d'établir un système d'alerte automatique et numérique, qui remplace les sociétés payées pour découper des bouts de journaux de jadis ! (n°18)
- Parfois, même quand l'université a des abonnements et que le texte est publié en ligne, il reste impossible d'y accéder. L'article ici visé est l'une des rares contributions psychanalytiques au sujet des EMI, qui plus est s'appuyant sur un cas clinique et une théorie bionnienne. Il faut parfois recourir à des moyens considérés en France comme illégaux, et donc bloqués par les FAI, mais auxquels le réseau intranet de l'Université permet l'accès ! (n°19)
- YouTube peut faire gagner un temps fou avec une option légèrement dissimulée permettant d'obtenir une transcription, de qualité moyenne et hachée, mais qui donnera un premier aperçu textuel sur une conférence. Avec un texte en anglais, il est alors possible d'obtenir une traduction française approximative avec un autre service en ligne, de manière à se faire une idée de ce qui a été dit ! (n°20)

Voilà, bonne chance pour la suite !

jeudi 6 septembre 2018

Sciences sur la place - La légende de l'esprit en dédicace à Nancy le 7 et 9 septembre 2018




 Je participe à "Sciences sur la place", une spécificité de l'événement littéraire "Le livre sur la place" à Nancy. Le 7 septembre aprèm et le 9 matin, je serais au stand 40.





Deux livres seront dédicacés : La légende de l'esprit ; mais aussi Sur le divan des guérisseurs... et des autres. À quels soins se vouer ? (Paris : Edition des Archives Contemporaines, 2018 ; co-dirigé avec Déborah Kessler-Bilthauer). 


Passez me voir !

Conférence sur Timothée Puel à Reims

J'interviens le 6 septembre 2018 au Congrès de la Société française de psychologie à Reims dans un symposium historique, où je parlerai de Timothée Puel et de sa Revue de psychologie expérimentale, la première du genre au niveau mondial.

Ma communication se base sur le chapitre 3 de mon livre La légende de l'esprit, et la publication (avec Erika A. Pratte) dans History of Psychology :

Evrard, R., Pratte, E.A. (2017). From Catalepsy to Psychical Research: The Itinerary of Timothée Puel (1812-1890). History of Psychology, 20(1), 50-71.

Voici mes slides :














mardi 22 mai 2018

Utiliser ou ne pas utiliser l'histoire ?



En septembre 2015, j’ai participé à une journée d’étude intitulée « Utiliser l’histoire : regards croisés sur la discipline historique » à l’Université Paris VII. Ma communication portait sur L’approche symétrique en histoire des sciences : comment ne pas utiliser l’histoire ? J’ai soumis cette communication pour la publication des actes dans la revue XXX mais celle-ci a été refusée. Les deux reviewers français ont été très critiques vis-à-vis de mon texte et l’analyse de ces critiques méritent le détour. En effet, elles sont assez exemplaires des difficultés que je rencontre pour publier mes travaux historiques en français, alors que je parviens à les publier dans des revues anglophones de haut niveau (History of Psychology, History of Psychiatry, etc.). Mon travail historique est loin d’être parfait et il y a toujours à apprendre des retours de mes pairs. C’est pourquoi j’inscris ce commentaire dans un dialogue avec ceux qui souhaitent entrer dans le vif du débat.

Charles Richet

Le reviewer 1 se moque de mon propos sur l’importance de l’approche symétrique en sociologie des sciences comme moyen de résoudre les habituels biais rétrospectifs dans l’analyse des parasciences. Je donne des exemples qui sont également tournés en dérision : « l’auteur de cet article ne juge de la qualité des ouvrages d’histoire de la psychologie plus ou moins récents qu’il cite qu’à l’aune de l’hommage rendu à Charles Richet par leurs auteurs ». C’est pourtant un très bon exemple car la plupart des livres d’histoire de la psychologie ou les manuels de la psychologie soit ne citent pas Richet, soit ne le citent que pour marginaliser son approche métapsychique, soit attribuent certains de ses travaux à d’autres (comme je le détaille dans l’article en prenant des exemples anciens et récents, ce qui me sera reproché comme étant une confusion des genres). L’opinion commune est bien résumée par le reviewer 1 :
« Certes, Charles Richet s’est intéressé à la psychologie, mais il n’a pas construit une œuvre au même titre que Ribot, Janet, Binet etc. On retient de lui, et à juste titre, les travaux de physiologie qui lui ont valu le prix Nobel. C’était un personnage à multiples facettes, il a aussi grandement contribué au développement de l’aéronautique, il était écrivain et il est reconnu comme un grand homme par ceux qui s’intéressent à la parapsychologie. Cela n’implique pas qu’on ne parle pas de lui dans les ouvrages d’histoire de la psychologie, mais il faudrait d’autres arguments que ceux avancés dans l’article pour admettre qu’il devrait y occuper une place importante. »
J’ai justement un article en révision dans History of Psychology qui retrace les contributions de Richet à la psychologie. Ses articles et ouvrages des années 1880 et 1890 furent influents. La réhabilitation du somnamublisme provoqué (hypnose) (Estingoy, 2005) et l’introduction des statistiques en sciences humaines (Hacking, 1988) furent deux de ses faits d’armes. Il a eu un rôle majeur dans l’institutionnalisation de la psychologie. Même s’il est difficile de parler « d’œuvre », son étude de la psychologie physiologique se prolongea dans celle de la métapsychique, qu’il considérait comme une branche avancée de la physiologie. Quoi qu’il en soit, ces arguments, donnés dans l’article, suffisent à s’interroger sur le peu de considération apportée au Richet psychologue.
Le reviewer 1 me reproche de n’avoir pas cité Charles Richet (1850-1935). L’exercice de la curiosité (Jérôme van Wijland, dir., Presses universitaires de Rennes, octobre 2015, c’est-à-dire paru après la conférence dont je tire ce texte) et particulièrement le chapitre de Carroy sur « Charles Richet au seuil du mystère ». C’est une erreur facilement correctible. Je connais bien évidemment cet ouvrage que je cite dans plusieurs de mes autres travaux, mais attirer mon attention sur le chapitre de Carroy laisse supposer que ce n’est pas ma méconnaissance de sa psychologie qu’on me reproche. En effet, c’est la contribution d’Estingoy dans le même ouvrage qui retrace au mieux ses contributions dans ce domaine. Celle de Carroy n’est qu’une version autorisée de ce qu’il faut penser de la métapsychique de Richet, basée principalement sur les ouvrages de fiction qu’il a pu écrire sur des thématiques paranormales ! Carroy a traité brillamment des écrits littéraires de Richet, mais parfois – comme ici – en collapsant totalement ces fictions avec ses idées scientifiques, malgré les nombreux démentis de l’intéressé. Elle synthétise très rapidement le parcours de Richet en soulignant l’échec de sa métapsychique savante et sa fuite vers le roman spirite… sans analyser précisément le détail des controverses scientifiques. C’est l’histoire culturelle qui prend le pas sur l’histoire des sciences, comme si la métapsychie étant nécessairement un échec scientifique, son explication relevait uniquement de données socio-culturelles (les croyances et aspirations personnelles de ses protagonistes), ce que dénonce justement l’approche symétrique des sciences.
Le reviewer 2 me renvoie aussi vers Carroy dont je devrais consulter « plus attentivement les travaux récents » qui montre bien que l’œuvre psychologique de Richet n’a pas été minimisée et dévalorisée. D’une part, cette condescendance n’a pas lieu d’être : je connais très bien ses travaux et j’ai déjà eu plusieurs opportunités d’échanger directement avec elle. Carroy a beaucoup contribué à faire connaître Richet, mais cela reste une exception au regard de la littérature en psychologie. D’autre part, il arrive parfois que Carroy elle-même fasse preuve d’une certaine suffisance sur cette question. Un exemple suffira : dans leur Histoire de la psychologie en France, Carroy, Plas et Ohayon (2006) ne font quasiment aucune place à la parapsychologie ou à Richet. Tout au plus commentent-elles la juxtaposition de son œuvre littéraire sous pseudonyme avec celle de son œuvre scientifique. Elles affirment d’ailleurs que sa psychologie romancée est « beaucoup plus complexe » (p. 57) que celle qu’il développe dans ses travaux scientifiques, sans analyser aucun de ses travaux sur toute la gamme des facultés humaines. Ai-je tort de trouver cela insuffisant ?

Henri Piéron

Le reviewer 1 concède que la parapsychologie a bien été partie prenante de la psychologie naissante, et que les premiers historiens de la discipline – souvent des psychologues eux-mêmes – ont présenté une historiographie biaisée pour démarquer rétrospectivement psychologie et parapsychologie. Mon article est donc bien dans la thématique de « l’utilisation de l’histoire ». Mais plus je donne des exemples précis de ces biais, et plus mon propos passe pour inacceptable : « la démonstration prend le tour d’un plaidoyer pro domo, en faveur de la métapsychie ou de la parapsychologie dont l’auteur est manifestement un partisan convaincu, sans qu’il y ait autre chose dans l’article que des affirmations tendancieuses voire insultantes pour étayer le propos ».
Quelles affirmations tendancieuses ? J’affirme par exemple que Piéron sélectionnait « les recherches ayant obtenu des résultats négatifs » et analysait les « travaux positifs » de façon « superficielle et satirique ». Puisque mon propos dans cet article était synthétique, j’ai renvoyé vers mon chapitre :
Evrard, R., Gumpper, S. (2016). Le garde-frontière de la psychologie : Henri Piéron et la métapsychie. In : L. Gutierrez, J. Martin & R. Ouvriez-Bonnaz (dir.), Henri Piéron (1881-1964). Psychologie, orientation et éducation (pp. 75-88). Paris : Octares.
Mais la démonstration est simple : L’Année psychologique dirigée par Piéron aura une rubrique Métapsychie de 1913 à 1942 (23 numéros) avec un total de 133 travaux recensés (83 par Piéron lui-même). Il y a donc une portion très congrue des recherches développées à l’époque et publiées dans le Journal of the Society for Psychical Research, l’American Journal of the Society for Psychical Research, Psychical Research, The Journal of Parapsychology, Les Annales des sciences psychiques, le Zeitschrift für Parapsychologie, etc. Quand on prend la peine de regarder dans le détail les recensions et de les comparer avec les nombreux travaux publiés aux mêmes époques, l’effet de sélection avec biais négatif est absolument évident.
D’ailleurs, le reviewer 2 rappelle que Piéron était un habitué de ce mode de sélection, qu’il appliquait également aux travaux en psychologie (je cite à l’appui : Martin, 2016). Toutefois, il se saisit de cette donnée pour me tourner en ridicule en affirmant que cela montre bien que Piéron n’était pas « asymétrique » dans son approche. C’est absurde : je critique le manque de symétrie des historiens, pas des chercheurs eux-mêmes qui, dans leur contexte professionnel et scientifique ont de nombreuses raisons de privilégier certains processus légitimants de démarcation. De plus, si on compare précisément la façon de faire de Piéron vis-à-vis de la psychologie et vis-à-vis de la parapsychologie, on constate facilement que Piéron attire l’attention sur les travaux de psychologie qu’il trouve de qualité ou qui confortent ses propres idées, ce qui vient équilibrer son approche. Alors qu’il fait extrêmement rarement de même pour la parapsychologie / métapsychie, où il commente dans une rhétorique éculée des recherches ayant obtenu des résultats négatifs, des cas de fraude ou de phénomènes faussement interprétés comme paranormal, comme si cela reflétait véritablement la littérature de l’époque (ce qui n’était pas le cas !). Son approche en matière de métapsychie tient donc davantage du détournement d’attention.

Pierre Janet

Les reviewer 1 et 2 me font ensuite des reproches concernant ma courte partie sur Pierre Janet. Encore une fois, je synthétise des travaux parus ailleurs :
Evrard, R., Pratte, E.A., Cardeña, E. (2018). Pierre Janet and the enchanted boundary of psychical research. History of Psychology, 21(2), 100-125.
Le reviewer 1 fait notamment cette critique :
« l’auteur affirme qu’il a cherché à comprendre pourquoi Janet avait abandonné ses recherches alors qu’il venait (selon lui) de réussir un test d’hypnose à distance, sans dire ce qu’il a trouvé et sans donner la source du « témoignage » de la petite fille de Janet. Or, contrairement aux affirmations de l’auteur, Janet s’est expliqué là-dessus : il s’est aperçu que son « sujet » (Léonie) avait un long passé de somnambule lucide et n’était pas un sujet « naïf », comme il le croyait. »
Critique appuyée également par le reviewer 2 :
« Quant à Janet, il s’est expliqué sur la raison qui l’ont conduit à abandonner ses recherches sur l’hypnose à distance lorsqu’il se rendit compte que Léonie, avait déjà été magnétisée, et n’était pas un sujet naïf. On pourrait relever plusieurs erreurs historiques dans les exemples auxquels il recourt pour étayer sa thèse. »
J’aurais facilement pu ajouter une note concernant cette communication personnelle du 11 janvier 2013 par Noëlle Janet (lors d’une de mes conférences à Paris sur Pierre Janet). Mais le plus sidérant est la façon dans les remarques des reviewers reproduisent les erreurs et les biais que j’analyse. L’incise « selon lui » ne permet pas de savoir si c’est l’auteur (c’est-à-dire moi) ou Janet qui affirme que son expérience d’hypnose à distance était un succès. La réponse est claire : c’est Janet qui publie ses résultats et note « échec » ou « succès » en face de ses tentatives. L’ambiguïté méritait d’être levée.
Ensuite, Janet a effectivement proposé des explications de son désintérêt pour ces expérimentations. Mais le recul de l’historien consiste à vérifier la valeur de ces justifications utilisées, à leur époque, par des protagonistes, et non de les prendre pour argent comptant. Or, d’une part, les antécédents magnétiques de Léonie n’expliquent en rien l’intérêt ou le désintérêt de Janet pour ses prouesses d’hypnose à distance ; et, d’autre part, Janet était très tôt au courant de ces antécédents, et n’a pas été surpris dans l’après-coup (en 1888, soit après avoir mis fin à ses expériences). En effet, il signale son passé magnétique dès sa deuxième communication sur le sujet (25 mai 1886) et Myers avait publié le détail de ce passé magnétique fin 1886 en affirmant s’appuyer sur les notes transmises par Janet ! De sorte que les reviewers se contentent d’une fausse excuse rassurante plutôt que d’encourager un travail historique rigoureux. Tout cela en affirmant d’une façon extrêmement légère qu’il y a plusieurs erreurs historiques dans mes travaux !!
Autre critique fait par le reviewer 1 concernant Janet et qui implique que je connais pas bien l’historiographie contemporaine : « De même il n’est pas vrai que "son rôle à la direction de l’Institut général psychologique n’a été clarifié que récemment par un historien Nord-Américain" (p. 8). L’ouvrage en question est paru en 2010 mais l’information se trouve déjà dans l’ouvrage de Régine Plas (2000) cité dans l’article. » La thèse de Matthew Brady Brower (préfacier de mon livre, La légende de l’esprit) fut achevée en 2005. Plas a donc clairement une préséance. Toutefois, les quelques pages (pp. 147-149) consacrées par Plas à la naissance et l’organisation de l’Institut général psychologique sont sans commune mesure avec le chapitre (pp. 45-74) détaillé du livre de Brower. En substance, ils disent les mêmes choses : Janet a utilisé sa position au sein de cet institut pour détourner les subventions destinées aux recherches psychiques vers des recherches psychologiques. Bref, du chipotage académique à visée de disqualification.

Conclusions

Conclusion du reviewer 1 : « En résumé, l’article (qui malheureusement illustre son titre) est insuffisamment documenté et les quelques informations données sont approximatives ou inexactes. Et son ton polémique voire militant n’en fait pas un article universitaire mais un manifeste (…) » N’est-ce pas exagéré de réduire toutes les informations que je donne à des données approximatives, inexactes et insuffisamment documentées (malgré les 34 références en biblio, pour un article court de 8 pages) ? Alors même que le reviewer ne peut s’attribuer qu’à lui-même l’approximation et l’inexactitude repérées ?
Conclusion du reviewer 2 : « En conclusion, il aurait été fort souhaitable que l’auteur applique à son propos le principe méthodologique qu’il valorise, et n’utilise pas l’histoire, pour défendre un auteur (Charles Richet, tout à fait respectable, mais qui n’a pas la place éminente en tant que psychologue qu’il lui octroie) et une cause, et donner des leçons de bonne conduite aux historiens de la psychologie. » Je ne suis pas partisan de la respectabilité de Richet (notamment du fait de son eugénisme) mais intrigué par la place que le lui laisse l’histoire, après avoir exploré les processus qui amènent aujourd’hui à en donner une vision biaisée.
Le reviewer 2 me reproche « une posture de surplomb un brin méprisante » puisque je pointe les erreurs et approximations des autres historiens (et donc aussi des reviewers !). Je ne crois pas avoir du mépris pour qui que ce soit, simplement nous sommes tous embarqués dans un processus auto-correcteur et nous devons donc tous accueillir les critiques fondées et constructives. C’est pourquoi, malheureusement, je vais devoir continuer à soumettre mes travaux à des revues anglophones à facteur impact élevé…

lundi 14 mai 2018

Pierre Janet et la parapsychologie

Nouvelle publication dans la revue History of Psychology. Merci à tous ceux qui, au fil des ans, m'ont aidé pour cette recherche !
(Remerciements à mes co-auteurs et à : Pascal Le Maléfan, Nicole Edelman, Alan Gauld, Carlos Alvarado, Alexandra Bacopoulos-Viau, Andreas Sommer, Eberhard Bauer, Stéphane Gumpper, Thibaud Trochu, Pierrette Estingoy, Régine Plas, Isabelle Saillot, et Bertrand Méheust)

Evrard, R., Pratte, E. A., & Cardeña, E. (2018). Pierre Janet and the enchanted boundary of psychical research. History of Psychology, 21(2), 100-125.
http://psycnet.apa.org/record/2018-18490-001

Abstract:
Among the founders of French psychology, Pierre Janet (1859–1947) is recognized for both his scientific and institutional roles. The psychology born at the turn of the 20th century was initially partly receptive to, but then engaged in, a battle with the “psychical marvelous,” and Janet was no exception. He was involved in the split between psychology and parapsychology (or “metapsychics” in France), developed at that time, playing several successive roles: the pioneer, the repentant, and the gatekeeper. At first, he was involved in so-called experimental parapsychology, but quickly chose not to engage directly in this kind of research any longer. Janet seemed to become embarrassed by his reputation as psychical researcher, so he increased his efforts to side with the more conventional thought of his time. Janet’s attitude, in this, is an example of how French nascent psychology has explored “marvelous phenomena” before recanting. Yet this aspect of Janet’s work has been rarely commented on by his followers. In this article, we describe the highlights of his epistemological journey. 

dimanche 29 avril 2018

Charles Richet et son autobiographie

Mon collègue Carlos Alvarado publie une petite synthèse sur Charles Richet, en analysant de façon critique son autobiographie "Souvenirs d'un physiologiste" (1933). Il m'avait sollicité pour commenter son texte qui est très réussi.

Alvarado, C.S. (2018). Fragments of a Life in Psychical Research: The Case of Charles Richet. Journal of Scientific Exploration, 32(1), 55-78.
http://www.scientificexploration.org/journal/volume-32-issue-1-2018

Abstract
In this paper I present a translation of an autobiographical essay French physiologist Charles Richet wrote about his involvement in psychical research in his Souvenirs d’un Physiologiste (1933). In the essay Richet presented an outline of aspects of his psychic career, including: Early interest in hypnosis and hypnotic lucidity, encounters with gifted individuals such as Eusapia Palladino and Stephan Ossowiecki, contact with the Society for Psychical Research, his Traité de Métapsychique (1922) and his lack of belief in survival of death. Richet’s account will be of particular interest for those who are not acquainted with his career. However, the essay is succinct and lacks important events that need to be supplemented with other sources of information. An examination of this autobiographical essay illustrates the limitations of autobiographies to reconstruct the past, but also provides an opportunity to discuss aspects of Richet’s psychical research.

Keywords: autobiography—Charles Richet—history of psychical research—

French psychical research—Eusapia Palladino—Traité de Métapsychique

mardi 17 avril 2018

Cherche lecteurs pour mon roman "Le savant et l'ectoplasme"

L'écriture de La légende de l'esprit : enquête sur 150 ans de parapsychologie m'a donné l'impression de voir certaines séquences d'un très bon film qu'il reste à faire. Comme beaucoup d'auteurs en métapsychique du temps passé (Richet, Maxwell) ou du temps présent (Chauvin, Méheust), j'ai envie de transposer cet essai historique en roman historique. Mais n'ayant jamais écrit autre chose que des essais, des nouvelles et des poèmes, je me lance dans l'inconnu. J'aurais donc besoin de lecteurs capables de me faire des retours pour améliorer mon manuscrit.

Si vous souhaitez lire en primeur mon livre Le Savant et l'Ectoplasme, merci de m'écrire à evrardrenaud@gmail.com

Le livre se centre sur la figure de Charles Richet, aux prises avec le phénomène de "l'ectoplasme". On le suit, à partir de 1902, dans ses études de la villa Carmen, d'Eusapia Palladino et de Marthe Béraud. 
Je suis par ailleurs à la recherche d'un éditeur, si le livre en vaut la peine.

samedi 17 février 2018

Départ du projet "Les Extraordinaires" de BTLV

Je suis au regret de me retirer du projet « Les Extraordinaires » de BTLV après six mois d’aventure, et je dois quelques explications et excuses à tout ceux qui l’ont soutenu.


Je me suis engagé dans ce projet dès qu’il m’a été présenté, mais c’était avant de connaître de graves soucis personnels qui ont complètement chamboulé mon organisation. À cela s’ajoute une vie universitaire extrêmement gourmande et riche, pour un résultat final très clair : je n’ai pas le temps de mener à bien mon rôle de conseiller scientifique de ce projet qui, par ma faute, prend du retard. Les postulants et les candidats sélectionnés n’ont jamais eu directement de nouvelles de ma part, même si j’ai travaillé avec plusieurs personnes en arrière-plan pour préparer des protocoles adaptés que je n’aurai pas le temps de mener à bien. J’en profite pour remercier particulièrement Yves Lignon, Nicolas Rochat, Arnaud Delorme, Bernard Blancan et les membres de l’IMI et de l’A-IMI pour leur aide à ce niveau.

J’insiste fortement sur le fait que mon départ n’est aucunement lié à un désaccord avec les avancées du projet, et que ce message n’est nullement commandité par l’équipe de BTLV, qui a toujours été très respectueuse à mon égard. Ce projet m’enthousiasme comme au premier jour, et en six mois il m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes dont je n’ai cessé de louer la sincérité et le courage. Les capacités qu’elles revendiquent méritent d’être testées dans des conditions de contrôle rigoureuses et bienveillantes. À moi seul, avec mes autres contraintes professionnelles et personnelles, je me reconnais incapable de mener à terme cette mission. J’aurais aimé être aussi extraordinaire que les candidats ! J’ai transmis à BTLV les protocoles imparfaits auxquels j’étais parvenu, mais ceux-ci doivent non seulement être affinés par d’autres scientifiques et dans un échange intelligent avec les candidats eux-mêmes. Je souhaite vraiment que les objectifs du projet soient atteints un jour.

Pour résumer, malgré tout l’intérêt que je porte au projet « Les Extraordinaires », auquel je remercie toute l’équipe de BTLV de m’avoir associé, je dois me recentrer sur les autres projets académiques dont je suis porteur au sein de l’Université de Lorraine (DP2, ALTERMENTAL, JUGGLE) et l’encadrement des recherches des étudiants (20 en Master, 2 en thèse), en plus de mes recherches personnelles et de mes nombreuses responsabilités.

Renaud Evrard

Nancy le 15/02/2018

dimanche 21 janvier 2018

Freud parapsychologue ? L'impossible héritage freudien

Une reprise en anglais de l'article paru dans le Bulletin de psychologie vient de paraître dans Imágó Budapest. Tout le numéro est accessible gratuitement en ligne ici



Freud as a psychical researcher: The impossible Freudian legacy

Renaud Evrard1, Claudie Massicotte2, & Thomas Rabeyron1
1University of Lorraine
                                                 Nancy, France
2Young Harris College

                                          Young Harris, GA, USA      
Abstract
Sigmund Freud constantly attempted to distinguish psychoanalysis from occultism by explaining allegedly paranormal phenomena (such as so-called prophetic dreams) as the results of unconscious processes. His attitude towards the paranormal, however, evolved according to his increasing interest in the possibility of thought transference. In 1925, he reproduced Gilbert Murray’s experiments associating telepathy and free associations. Then, he became convinced of the reality of thought transference and shared his conviction in “The Occult Significance of Dreams.” Yet, Ernest Jones, his biographer and then president of the International Psychoanalytic Association, was reluctant to associate psychoanalysis with psychical research and therefore worked to marginalize Freud’s interest. This article aims to retrace the context of this rarely discussed text and the experiments that preceded it in order to reexamine their role in ulterior definitions of the Freudian legacy and the association of psychoanalysis with experimental research on telepathic dreams.

Key-words: psychoanalysis, telepathy, occultism, thought transference, psychical research.



Evrard, R., Massicotte, C., Rabeyron, T. (2017). Freud as a psychical researcher: The impossible Freudian legacy. Imágó Budapest, 6(4), 9-32.