Voyages aux confins de la conscience. Le cas Nicolas Fraisse est paru en 2016. Fin 2023, une version illustrée a même gagné les rayons. Mais toujours aucune publication dans une revue scientifique et aucune réponse aux critiques qui ont pu être faites de certains aspects de cette étude.
La co-auteure du livre Sylvie Dethiollaz a souhaité s’en expliquer dans une interview pour la chaîne Lueur publiée le 7 avril 2024, quelques jours après que Nicolas Fraisse lui-même ait donné une interview au même endroit.
Des informations intéressantes furent partagées à cette occasion : une brève analyse s’impose.
Absence de publications
Mme Dethiollaz a confirmé qu’un parapsychologue américain (Dean Radin), enthousiasmé par leur travail à l’Institut ISSNOE/NOESIS, lui a proposé de soumettre un article scientifique dans la revue Explore (indexée dans PubMed, Q2 dans Scimago). Elle a commencé à l’écrire, mais cela ne faisait pas sens pour elle : c’était « dérisoire ». Elle ne chercherait plus à avoir de la reconnaissance. En fait, elle explique qu’elle visait des revues de très haut calibre (Nature, Science) et surtout pas des revues de parapsychologie que personne ne lit. En l’absence de juste milieu (lequel existe pourtant), point de publications scientifiques. Les livres restent le support privilégié pour diffuser ses études et leurs interprétations.
Absence de réponses aux critiques
Mme Dethiollaz se plaint d’avoir été critiquée de manière « plutôt véhémente » « par des gens qui sont dans le même domaine ». Selon elle, il aurait été « plus simple de nous appeler ». Mais cette démarche lui semble motivée par « la mauvaise foi » et « la jalousie ».
Sans jamais donner de nom, je pense que les critiques que j’ai formulées sur ce site sont visées. En fait, je peine à trouver qui que ce soit d’autre ayant pris le temps de formuler une critique de leurs recherches. Quelle drôle de manière de faire que de régler ses comptes à l’oral, des années plus tard, par des insinuations douteuses. Il aurait été tellement plus simple de s’appeler ;-)
En 2017, quand je lui ai transmis mes remarques et questions, elle a affirmé n’avoir « absolument pas le temps de répondre en détail aux très nombreux points que vous soulevez » et s’interroger sur mes « motivations ». Il aura donc fallu attendre 7 ans pour avoir enfin accès à l’épisode suivant !
Réponse à la critique de l’opacité des enveloppes
Mme Dethiollaz repère deux critiques principales, affirmant avoir « oublié » les « petites » autres. La première est sur le manque d’opacité des enveloppes contenant les cibles. Elle explique que ce n’est pas sa faute car elle aurait préféré des enveloppes cartonnées : « ce [ne sont] pas les enveloppes réglementaires pour ce type d’expérience », admet-elle.
Cependant, le banquier Marcel Odier, mécène et concepteur principal du protocole, n’y a pas consenti car il était, selon lui, « impossible de distinguer une image » à travers l’enveloppe (kraft, comme cela a été confirmé) et que, de plus, il n’y avait « pas de sources de lumière » durant l’expérience. Or, il n’est indiqué nulle part que l’expérience se déroule dans l’obscurité absolue. Et la transparence de l’enveloppe peut s’obtenir à la fois par la luminosité et par l’humidité (ou d’autres produits chimiques). En somme ici, c’est un problème qu’elle avait anticipé, mais sur lequel elle n’a pas eu le dernier mot, tout en affirmant qu’il n’impacte que de manière marginale le protocole.
Elle oublie donc un aspect important : chaque image comportait en bas à gauche et à droite des informations cruciales (son numéro de série et trois mots censés décrire l'image, par ex. 11/T ; Attentat-11-septembre). Il ne s’agit pas de voir toute l’image à travers l’enveloppe, l’un des autres indices suffit.
Réponse à la critique sur l’aléatoirisation
Mme Dethiollaz dit qu’on leur a reproché la procédure pour tirer au sort. Elle affirme que cette tâche était confié à l’huissier qui, manuellement, tirait d’une malle une chemise cartonnée noire comportant 1 enveloppe blanche A6 contenant 4 « photos » au format 10x15 et 4 enveloppes jaunes A5 contenant chacune une image au format 15x21. (Mme Dethiollaz avait apposé une étiquette autocollante avec le numéro de série sur chacune des enveloppes.) Ensuite, et « sans la regarder » (!), l’huissier tirait au sort l’une des images (sous enveloppe) qu’il scellait ensuite.
La chercheuse reconnaît qu’elle disposait du matériel pour appliquer une véritable aléatoirisation, afin d’éviter certains biais évidents : l’huissier aurait pu maladroitement introduire des séquences dans les images choisies, en prenant par exemple la première du paquet, ou en essayant de simuler le hasard selon ses propres représentations de celui-ci. Toutefois, Marcel Odier aurait encore mis son véto, puisque ce contrôle ne lui semblait pas pertinent, car ce n’était pas la même personne qui avait préparé les images et qui les tiraient au sort.
En somme, le problème est reconnu, le tort est attribué à un autre, et le biais est minimisé. Encore.
On oublie que le hasard vrai n’intervient jamais dans l’expérience puisque Sylvie Dethiollaz est responsable de la sélection non-aléatoire des images et de leur impression, Marcel Odier avait ensuite pour tâche de les insérer dans des enveloppes après les avoir mélangées manuellement.
Les critiques laissées sans réponse
Mme Dethiollaz prétend que le protocole est resté le même pendant toute l’expérience (« une fois qu’il a été défini comme ça, on ne l’a plus du tout touché »), tout en ayant expliqué dans le livre que l’huissier était si excité par les premiers résultats (analysés en cours d’expérience, par un « arrêt optionnel » qui est une pratique inadaptée de recherche) qu’il a assisté à la cinquième journée de test (19 juin 2013, 24 essais) alors qu’il connaissait les cibles ou pouvait les connaître. Il s’agit clairement d’une variation du protocole dont résulte la rupture du double aveugle.
Mais ce problème était déjà effectif car plusieurs personnes non-neutres assistaient à l’expérience : Mme Dethiollaz elle-même (à l’origine du choix des images) et Monique Odier, l’épouse de Marcel Odier. Leur présence fausse l’étude, qu’importe la probité dont elles jouissent.
Durant l’interview, Mme Dethiollaz en donne un exemple très concret : Nicolas Fraisse ne parvient pas à comprendre son ressenti qui lui parvient sous une forme musicale. Les observatrices (ou « opératrices ») lui demandent de le fredonner et, à l’écoute, lui disent qu’il s’agit de la musique phare du film « Rocky ». Nicolas peut ensuite passer à la phase de jugement et faire le bon choix. Cette scène est paradoxale : on ne comprend pas comment Fraisse reçoit cette information pertinente, mais l’intervention des observatrices l’influencent clairement. Imaginons qu’il ait à peine fredonner un air banal sur lequel les observatrices – dont l’une au moins est déjà informée des cibles potentielles – auraient rebondi immédiatement. Elles seraient davantage que lui responsables de cette réussite. Mme Dethiollaz reconnaît donc avoir aidé Fraisse, mais « seulement une fois », sans avoir pour autant écarter cet essai des succès comptabilisés.
Le fait que les personnes présentes puissent potentiellement aider le participant est un problème non discuté. Qu’elles le fassent volontairement (comme pour « Rocky ») ou involontairement (par leur communication non-verbale) importe peu.
Enfin, une autre critique importante n’est pas discutée…
La manipulation des enveloppes-cibles
Dans la première version du protocole, les chercheurs permettaient aux sujets de toucher l’enveloppe scellée, mais ils ont modifié cette condition dans le protocole officiel pour le rendre « plus drastique ». Mme Dethiollaz prétend ainsi que Nicolas Fraisse ne pouvait pas manipuler les enveloppes durant l’expérience, puisqu’il était constamment sous la surveillance des deux observatrices. Pourtant, il faisait des passes avec ses mains juste au-dessus d’elles (comme pour un soin énergétique). Cette configuration n’est pas la meilleure protection contre toute manipulation tactile. L’attention des observatrices pouvait aussi faire défaut (puisqu’elle devait être maintenue en continu pour des séquences de 15 minutes, 20 fois par jour). Si l’expérience doit reposer sur les capacités d’attention des deux opératrices, cela vient questionner la part du témoignage humain dans le protocole.
De plus, selon le protocole, après chaque test, Fraisse devait inscrire « sur l’enveloppe-cible le nom descriptif (au maximum 3 mots), ainsi que le numéro figurant sur l’image qu’il avait choisie. Il y apposait sa signature, ainsi que les personnes présentes. » Il est bien précisé que l’enveloppe-cible est bien l’enveloppe « jaune » scellée par l’huissier. Le protocole confirme donc que Fraisse conserve l’enveloppe-cible avec lui pendant qu’il ouvrait l’enveloppe blanche avec les 4 photos. Une fois son choix fait, il écrit bien sur l’enveloppe-cible le code et les descriptifs de l’image qu’il pense être la bonne, comme le confirme Mme Dethiollaz : « il devait noter sur l’image-cible scellée le résultat ». Il a donc au minimum un contact tactile avec l’enveloppe-cible à ce moment-là.
Un choix « isolé »
Lors de son interview, Mme Dethiollaz donne également un détail nouveau sur le protocole. Selon elle, pour faire son choix à partir des 4 photos, Nicolas Fraisse devait s’isoler : « Il s’isolait pour faire son choix, tout seul ; ça c’est hyper important ». Or cet isolement n’est mentionné nulle part. Parle-t-on vraiment d’un isolement physique ? Dès lors, le participant n’entre plus dans le champ d’observation des opératrices ? Ce détail pourrait être important. En effet, le participant dispose toujours à ce moment-là de l’enveloppe-cible et pourrait la manipuler à volonté…
Si l’isolement est uniquement « mental », on ne voit pas bien comment cela éliminerait les influences des opératrices liées à l’absence de double aveugle.
Conclusion
Dans cette drôle de manière de répondre à des critiques (7 ans après leur diffusion et uniquement lors d’une interview), Mme Dethiollaz sélectionne les critiques auxquelles elle répond. Elle reconnaît des biais, mais les attribue à d’autres et en minimise les effets. Elle ne répond pas à l’ensemble de mon analyse et utilise plutôt des arguments fallacieux pour la rejeter (de la « jalousie » « véhémente » de « mauvaise foi » dont elle a oublié de « petites critiques »). Que faire ?
Encore une fois, je suis persuadé qu’aucun de ces chercheurs et encore moins Nicolas Fraisse n’a triché durant cette expérience. Mon argumentaire n’est pas une accusation de ce type : c’est une analyse « théorique » des qualités et faiblesses du protocole. En somme, c’est ce dont aurait bénéficié ce travail s’il avait été soumis à une revue scientifique à comité de lecture, puisque c’est notamment à cela qu’elles peuvent servir (au-delà de la quête de reconnaissance). Mon travail correspond donc à un peer-review ad hoc, dans une visée scientifique.
Fuir continuellement l’avis des collègues compétents ne permet pas de s’inscrire dans une démarche scientifique. C’est mon plus grand regret que de constater la poursuite de telles pratiques polémiques, qui desservent les recherches ainsi instrumentalisées alors qu’elles sont d’un grand intérêt.