Sur
Astroemail, on
peut trouver une recension critique de mon ouvrage La légende de l’esprit : enquête sur 150 ans de parapsychologie par
Claude Thébault. Toute critique est intéressante, néanmoins cela ne doit pas
empêcher de développer un dialogue contradictoire.
Le
livre est mis dans la catégorie « pour connaisseurs avertis » parce
qu’il apparaît « difficilement accessible au néophyte ». Ce point n’est
pas à contester puisqu’il ne s’agit pas d’un livre de vulgarisation. Toutefois,
l’auteur affirme que les prérequis sont « une connaissance approfondie de
l’actualité française de l’entre-deux guerres en la matière ». Puisque le
livre couvre une période allant de 1852 à 2002, ce prérequis apparaît limité.
L’histoire de la parapsychologie rejoint l’histoire générale, et si des liens
sont tissés dans le livre, d’autres pistes peuvent toujours être explorées.
Plusieurs
des critiques sont des insinuations qui sont difficiles à analyser :
mon ouvrage n’apporterait que des « lumières tamisées » sur la
parapsychologie, on pourrait « relativiser bon nombre de [mes]
appréciations », le livre manque de « Franchise ». Ces remarques
vont être appuyées par des critiques plus concrètes qui sont plus faciles à
discuter.
L’une
des critiques porte sur l’idée de l’élusivité décrite comme
« hilarante », « une hymne à l’élusivité… comme dernière
invocation expérimentale de la parapsychologie », « de quoi faire
rire les scientifiques », « y compris en apportant au texte une dose
de quantique afin de convaincre les nigauds », etc. Il était évident pour
moi, lorsque j’ai discuté de l’hypothèse de l’élusivité dans l’une des parties
de la conclusion de l’ouvrage, qu’elle était particulièrement difficile à
admettre. Néanmoins, je pense avoir introduit celle-ci de façon prudente et
justifiée. En effet, la formulation de cette hypothèse était produite vers 1920
par des chercheurs qu’ils soient dits tenants ou sceptiques : c’est un élément
déjà présent et dont il fallait rendre compte. Leurs observations recoupent des
travaux récents qui ouvrent à une compréhension nouvelle du phénomène. Des
chercheurs utilisant le formalisme quantique, mais d’une manière
scientifiquement argumentée, ont développé une Théorie quantique généralisée
qui prédit ces phénomènes d’élusivité. Ces travaux, publiés dans des revues
scientifiques (Axiomathes, Foundations of
Physics, etc.) ayant des exigences bien plus élevées qu’un site internet,
sont actuellement en cours de confirmation expérimentale, comme je le précisais
d’emblée :
« Cette
partie extrêmement spéculative nécessite une mise en garde. Beaucoup des idées
discutées ci-dessous font actuellement l’objet d’échanges entre des chercheurs
de pointe, mais leur vérification empirique est incomplète et sort de notre
champ de compétence. »
Un
autre argument affirme que je me méprends totalement sur la raison que je donne
pour expliquer la marginalisation de la parapsychologie : le scientisme.
Tout d’abord, je ne donne aucune explication, et surtout pas monofactorielle,
et encore moins en invoquant une notion aussi floue que le scientisme. L’auteur
croît savoir que la véritable raison est la loi, ce qui n’est guère surprenant
pour un spécialiste de l’approche juridique de l’astrologie.
Il cite la loi qui, en 1985, a protégé le titre de psychologue et considère
comme délit pénal de se revendiquer psychologue ou apparenté, par exemple
para-psychologue. Il cite également des jurisprudences dans lesquelles des
prétendus parapsychologues furent condamnés pour escroqueries.
Cet
argument apparaît très limité pour expliquer l’évolution de la parapsychologie
depuis 1850. Il porte plutôt sur des constats quant aux rapports entre la
parapsychologie et la loi, et donc la société. Les pratiques de divination
étaient légalement interdites (dans mon livre, je renvoie à ce sujet vers le
mémoire de Jean Boudot, La réaction du
droit pénal face au paranormal ; DEA de Droit pénal et sciences
criminelles de l’Université Lyon III, 1996). Elles ne le sont plus
aujourd’hui à ce titre de pratiques divinatoires, mais lorsque, sous des
appelations floues et non réglementées, elles transgressent simplement la loi
commune.
Toutefois,
on ne voit pas quel rapport peut être établi entre ces praticiens du paranormal
et les scientifiques étudiant les phénomènes parapsychologiques. Thébault
confond visiblement les deux registres. On peut envisager que la
parapsychologie scientifique puisse contribuer à réglementer et régulariser ces
pratiques, mais en l’absence d’une reconnaissance légitime de cette discipline,
il règne un flou important. Il n’existe aucun statut professionnel spécifique
(associé à une déontologie opposable) pour les voyants, magnétiseurs, médiums,
etc., qui sont simplement soumis à un régime général (voir à ce sujet le livre
d’Alexis Tournier, Comprendre la voyance,
paru en 2016 également aux éditions Trajectoire).
L’auteur
de cette recension ne manque pas d’envoyer plusieurs flèches contre Maud
Kristen, célèbre voyante qui a, contrairement à d’autres, accepté de participer
à plusieurs expérimentations scientifiques, mais n’a pas remporté le prix-défi
d’Henri Broch, situé comme idéal scientifique par Thébault. Il développe
également ses autres marottes : pas touche au CSI qui a
« débunké » la néo-astrologie de Gauquelin, condamnation obligatoire
de la thèse de sociologie de l’astrologue Elizabeth Tessier… Alors que ces points
ne sont pas discutés dans mon livre, simplement mentionnés en m’appuyant sur
d’autres références. L’ensemble de ces remarques révèle une lecture très
orientée de l’ouvrage qui ne reflète aucunement son contenu.
Un
autre point concerne la difficulté à lire le livre. Les aspects propres à la
mise en page (double colonne en petits caractères) sont le fait de l’éditeur.
Ma faute est d’avoir eu trop de choses à dire, ce qui a obligé l’éditeur à
trouver un moyen pour faire paraître un tel livre en conservant un prix bas de
25 €.
Mais
il y a des difficultés d’un autre ordre, selon Thébault. Il croît savoir
certaines choses sur l’histoire de la parapsychologie et laisse à penser que,
par son expertise, il peut défaire tout ce que mon livre pourrait lui
apprendre. Ainsi, il revient sur l’affaire opposant le pseudo-fakir Tahra Bey
au journaliste sceptique Paul Heuzé. Il faut noter que cette affaire est
seulement mentionné non nominativement dans mon livre (qui je le rappelle porte
sur l’histoire de la parapsychologie scientifique !), même si je renvoie
vers les ouvrages d’Heuzé et de Robert Tocquet qui traitent de ce cas et
d’autres similaires. Thébault m’accuse de mal situer l’affaire en 1926 :
mais je ne la situe pas (puisqu’elle n’est pas discutée) et me contente de
faire référence à l’ouvrage d’Heuzé Fakirs,
fumistes et cie paru en 1926, et au suivant paru en 1932. En matière de
faux-procès, Thébault semble aussi s’y connaître ! Car par ces points de
détail, des inexactitudes qui sont en fait les siennes, il suggère mon incompétence.
Alors qu’il est complètement en tort, il ne manque pas en effet de généraliser
l’argument :
« Un sérieux décalage. On retrouve à d’autres endroits du
livre de Renaud Evrard le même laxisme. Le lecteur épris de précision s’en
agace en ayant l’impression que la critique anti parapsychologie est traitée avec
désinvolture alors que les "figures" du mouvement ont droit à un traitement de faveur. »
Cette
suggestion d’incompétence est renouvelée au sujet de l’intérêt de Pierre Curie
pour la parapsychologie, auquel je consacre mon 6e chapitre. Et les
reproches qui me sont fait laissent encore à désirer. Le premier reproche est
que je transcris mal l’attitude de Curie, car celle-ci semble avoir fluctuée
entre frilosité et passion curieuse lors de sa participation à l’étude
expérimentale de la médium Eusapia Palladino. Or, j’ai justement détaillé
séance par séance l’évolution de sa conviction en me basant sur les comptes
rendus de séance et sa correspondance personnelle. Son scepticisme pragmatique
renforce justement l’intérêt de son cas, qui n’aboutit pas à une conviction
irrationnelle ; en effet, il en vient à conclure que la parapsychologie
(ou paraphysique) est un domaine légitime dont il annonce qu’il va prolonger
l’étude du haut de sa chaire en Sorbonne.
Le
second reproche est d’avoir manqué le livre de Georges Lochak qui éclaire une
partie des contributions de Pierre Curie dans son domaine, la physique. Je
reconnais n’avoir pas été exhaustif pour resituer les travaux
parapsychologiques de Curie dans ses travaux de physique et dans la physique de
son époque. Néanmoins, je suis loin d’avoir fait « l’impasse »
là-dessus comme me le reproche Thébault. J’ai notamment repris tous les
commentaires de Curie inspirés par ses recherches sur la médiumnité, ajoutés
aux descriptions de sa personnalité et de ses influences, bien qu’il faille noter
que Curie n’en était pas encore à une interprétation théorique, préférant
largement faire varier les conditions expérimentales pour mieux saisir les
proriétés des phénomènes.
Thébault
amène encore un autre procès en 1932 contre un vrai-faux alchimiste ayant
repris des travaux de Curie : c’est complètement hors-sujet et
anachronique. Je comprends ces passages détaillés comme des tentatives pour
laisser croire que Thébault a une quelconque expertise sur l’histoire de la
parapsychologie scientifique, alors qu’il a une réelle expertise – qu’on ne
peut que reconnaître – sur l’histoire judiciaire associée aux pratiques
occultes. Qu’il mélange encore ces deux domaines au sortir de la lecture de mon
livre est assurément la plus grosse déception produite par sa note de lecture.
Heureusement, que les avis d’historiens de la psychologie diffèrent largement
du sien (voir dans Psychiatre, neurosciences et sciences humaines et dans le Bulletin de Psychologie).