Le champ de la parapsychologie a perdu l'une de ses grandes figures le 5 février 2017. Peu connu du grand public, l'Allemand Gerd Hövelmann avait soufflé un vent nouveau dans le champ alors qu'il n'avait que la vingtaine.
Son article "Seven Recommendations for the Future Practice of Parapsychology", publié en 1983 dans le numéro 11 du Zetetic Scholar (disponible ici), reflète son esprit de provocation complété d'ouverture. On peut trouver une liste de ses qualifications et publications ici.
Il avait développé en Allemagne la Gesellschaft für Anomalistik (GfA = Société pour l'anomalistique) en rompant avec le mouvement pseudo-scientifique de la GWUP, et en réunissant les chercheurs combinant esprit critique et curiosité épistémique. L'anomalistique réflexive, le scepticisme responsable, est un véritable progrès dans le champ controversé de la parapsychologie.
Sur le plan personnel, je l'ai croisé régulièrement aux congrès de la WGFP, puis à ceux de la PA et de la PF, à la rencontre des experts en clinique des expériences exceptionnelles en 2010 à Freiburg, plus récemment lors du congrès sur l'institutionnalisation de la parapsychologie à Freiburg en 2015, etc.
(Gerd à gauche, aux côtés de Leo Ruickbie et Eberhard Bauer)
Nous partagions un intérêt pour l'histoire de la parapsychologie et pour la clinique des expériences exceptionnelles.
Sur le plan historique, il avait révélé le subterfuge du Trickster Max Dessoir, qui avait mis en scène un faux-débat au cours duquel il promut le terme de parapsychologie, en 1889. Gerd avait également découvert qu'il avait déjà employé ce terme deux ans plus tôt. Même s'il ne lisait pas le français, il m'avait chaudement félicité pour mon livre La légende de l'esprit, et m'avait invité chez lui pour travailler sur un auteur polyglotte (Baron Ludwig von Güldenstubbe (1817-1873)) dont il avait récupéré les archives inédites, décrivant de nombreux expériences de médiumnité physique au cours du XIXe siècle (invitation que je n'ai malheureusement jamais pu honorer). Dès 2009, puis à chacune de mes publications, il me félicitait pour mes premiers pas dans l'histoire de la parapsychologie française et, par d'incessantes questions, me montrait qu'il y avait beaucoup à débroussailler.
Sur le plan clinique, j'ai eu la chance de l'aider dans la constitution de sa bibliographie suprême sur l'approche clinique du paranormal, plus d'une centaine de pages (!!) dans le livre paru en 2012 Perspectives of clinical parapsychology (disponible gratuitement en ligne ici ; il m'a expliqué qu'il aurait largement préféré que le titre fasse référence aux "exceptional human experiences" plutôt qu'à une supposée "parapsychologie clinique"). J'ai ajouté plus de 150 références françaises aux 2000 entrées déjà recensées. Il m'avait envoyé cette bibliographie pour m'aider dans mon travail de thèse, alors à ses balbutiements. Qu'un chercheur sénior se soucie à ce point d'un jeune débutant en dit long sur le caractère de Gerd, qui savait rendre ce qu'il avait reçu.
Son intérêt scientifique voire passionnel pour la bibliographie lui venait peut-être de Rhea White, à laquelle il rendit un merveilleux hommage dans un récent numéro du Journal of Exceptional Experiences and Psychology, en expliquant qu'il était resté dans le champ de la parapsychologie car elle avait tout fait pour lui permettre de faire connaître ses idées, quand bien même elles étaient fortement contraires aux siennes. Lui-même suivait cette ligne de conduite. Dans quelques mois sortira une anthologie des travaux de son proche ami, le sceptique P.H. Hoebens sur lesquels il avait travaillé avec abnégation durant ses dernières années de maladie (Hövelmann, G.H., & Michels, J.A.G. (Eds.) (sous presse). The Legitimacy of Unbelief: The Collected Papers of Piet Hein Hoebens. Eindhoven: Synchronicity Research Unit.)
Il alimentait une autre bibliographie dans Mindfield, le bulletin de la PA (dont il était le Vice-président lorsque j'intégrais le bureau). Cette bibliographie listait des publications en anglais dans des revues mainstream de toutes disciplines qui contribuaient à l'exploration savante du paranormal. A chaque fois, je trouvais des perles qui m'aidaient dans mes recherches et, à chaque fois, je mettais de côté mes découvertes pour les partager avec lui. Ce réflexe risque tellement de me manquer que j'ai demandé à pouvoir prendre la relève de cette chronique si importante pour ce champ.
Gerd m'avait également aidé en traduisant et corrigeant mes textes, afin de les publier dans le Zeitschrift für Anomalistik. D'abord une recension d'un livre de Jeffrey Kripal, puis une recension polémique du congrès d'Utrecht organisé par la Parapsychology Foundation de 2008 (au cours duquel il fit une intervention géniale que l'on retrouve dans les actes). Enfin la traduction d'un débat sur les liens entre clinique des expériences exceptionnelles et parapsychologie ; et un extrait de mon livre sur Louis Favre, un pionnier de l'anomalistique, article qu'il m'a autorisé, lors de ce qui sera notre dernier échange, à faire paraître également en anglais dans le Journal of Scientific Exploration.
Evrard, R. (2015e). Louis Favre und die Anomalialogie
von Phänomenen. Zeitschrift für
Anomalistik, 15(1+2), 130-139.
Evrard, R. (2014i). Sind außergewöhnliche Erfahrungen lediglich
Spontanfälle? Eine Antwort an Michael Tremmel. Zeitschrift für Anomalistik, 14(2+3),
292-299.
Evrard, R. (2010d). Keine Zukunft: Parapsychologie und der Fluch
des Tricksters [Traduction : Gerd Hövelmann]. Zeitschrift für
Anomalistik, 9(1-2-3), 237-250.
Evrard, R.
(2010k). Rezension des Authors of the
Impossible: The Paranormal and the Sacred von Jeffrey Kripal. Zeitschrift
für Anomalistik, 10(1+2), 145-148.
J'ai malheureusement échoué à lui rendre la pareille car je ne suis pas parvenu à traduire ou faire traduire son excellent article épistémologique sur l'anomalistique (paru dans le "Handbuch" allemand), que je souhaitais placer en ouverture du dossier "Vers une sociologie anomalistique" dans la revue internationale Esprit critique.
En remontant le fil des courriels archivés, je vois que notre premier contact date de 2008, période où j'interrogeais tous les centres de parapsychologie dans le monde pour connaître leurs productions et leur fonctionnement. A l'époque, la GfA m'intriguait car elle était constituée de véritables sceptiques qui avaient dénoncé les dérives pseudo-sceptiques de leurs pairs. Un tel mouvement m'inspirait à l'époque car je débattais avec les membres de l'Observatoire zététique et d'autres prétendus sceptiques qui avaient une connaissance médiocre des travaux scientifiques en parapsychologie et qui n'arrivaient pas au niveau des débats ayant cours à l'international. Gerd m'avait alors encouragé dans la démarche de mise en place d'un site analysant de façon critique les productions pseudo-parapsychologiques et pseudo-sceptiques.
Gerd recevant en 2013, à Viterbe, son prix spécial remis par Etzel Cardena et Alejandro Parra. |
Et l'embrassade ! |
En 2013, il avait reçu un prix spécial au congrès PA, de façon précipitée par peur que la maladie l'emporte. Mais, en 2015, tout le monde a adhéré à ma proposition de lui conférer l'Outstanding Career Award de la PA, reçu à Greenwich, par l'intermédiaire d'un discours lu par son épouse Friederike Schriever (elle-aussi une brillante chercheuse).
Bref, Gerd va beaucoup nous manquer.
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J'en profite pour rendre hommage à ma grand-mère Irène décédée aujourd'hui. On la voit à l'extrême gauche (!) sur cette photo avec Marchais, en 1985. Il n'y a plus de douleur, c'est tout ce qu'on pouvait lui souhaiter.
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