Sur Astroemail, Claude Thébault avait
proposé une recension critique de mon ouvrage La légende de l’esprit : enquête sur
150 ans de parapsychologie. J’avais analysé cette critique (ici),
et Thébault souhaite poursuivre notre échange via une nouvelle
critique (ici).
Malheureusement, Thébault reproduit
plusieurs de ses précédentes critiques sans tenir compte de mes réponses, et
quand bien même leurs fondements sont douteux. Ainsi, il continue d’amalgamer
praticiens du paranormal et parapsychologie scientifique. Il ne reconnaît
toujours pas les documents historiques montrant l’implication de Pierre Curie
dans ce champ. Il décale constamment la discussion sur son champ d’expertise,
l’histoire judiciaire de l’occulte, sans que ce ne soit véritablement à propos.
Je comprends sa position comme commune à
celle d’autres lecteurs, qui montrent ce mélange de fascination et de rejet
vis-à-vis des praticiens du paranormal. Quel énorme paradoxe que cette société
(française, entre autres) qui laisse tourner à plein régime un business du
paranormal tout en tenant officiellement un discours critique à son
sujet ! Le marasme est tel que toute tentative pour éclairer les aspects
scientifiquement intéressants du paranormal est perçue comme une infraction,
une complicité avec les pires excès commis en ce domaine. Aussi, il a pu suffir
à un sociologue de rejeter mon ouvrage, avant même sa parution, parce qu’il
était publié chez un éditeur qui fait aussi dans l’ésotérisme, sous la
« direction » (direction qui ne portait pas sur le contenu de
l’ouvrage, puisqu’aucune ligne n’a été touchée) d’une lithothérapeute !
Je vais néanmoins reprendre certains
points de la nouvelle critique de Thébault, en le citant puis en le
commentant :
« Il pouvait remonter aux périodes de l’ancien régime avec l’excellent ouvrage de Jean Verdier sur la jurisprudence de la superstition. Car le sujet qu’il traite n’a pas le monopole de la modernité. (…) Certes Renaud Evrard écrira que 1611 se trouve hors période de son propos de 150 ans. Sur le plan des faits on ne trouve aucune différence entre 1875 – 2002, et le créneau étroit sur lequel l’attention était centrée, de l’entre deux guerres. »
Tout historien est obligé de borner son
étude. Mon intervalle est déjà extrêmement large ! Ce n’est pas 1875 mais 1852
(environ) qui constitue mon point de départ. L’attention n’est pas du tout
concentrée sur l’entre-deux-guerres, puisque seules les chapitres 7-8-9 (sur
12) portent sur cette période. La jurisprudence de la supersitition a sa place
dans l’histoire juridique de l’occulte, moins dans l’histoire de la
parapsychologie scientifique.
« Parce que l’affaire Louis Gauffridy illustre le cas de l’irruption de la maladie mentale dans l’appréciation parapsychologique. (…) Dans le mot parapsychologie on trouve psychologie et cet aspect est, malheureusement, évacué par Renaud Evrard dans son histoire. Qu’il prenne en bonne part ce constat de fait. »
Je
rappelle néanmoins que je suis psychologue clinicien, et que mon premier
ouvrage, issu de ma thèse, porte sur les rapports entre paranormal et
psychopathologie (Folie et paranormal,
Presses Universitaires de Rennes, 2014). Il y a donc des aspects
complémentaires que le lecteur pourra aisément consulter. Ce livre, La légende de l’esprit, est centré sur
les rapports entre psychologie et parapsychologie (ce dernier terme ne venant
que tardivement acter une divergence disciplinaire) : il faudrait démontrer en
quoi la « psychologie » est évacuée !
« Cette période [de l’entre-deux-guerres] présente l’avantage d’être bien documentée, notamment en articles de presse et ouvrages de fond. Pour la parapsychologie on trouve l’ouvrage d’Osty sur la Lucidité de 1910. Dans lequel le responsable de l’IMI déclare n’avoir rencontré aucun cas susceptible de relever de la parapsychologie. »
Si
Thébault fait en réalité référence à Lucidité
et intuition (1913), il est écrit à une époque où Osty est un chercheur
indépendant (et non le directeur de l’Institut métapsychique international
qu’il deviendra en 1925) et dans lequel il affirme au contraire avoir observé
des phénomènes qui l’invitent à poursuivre la voie métapsychique (cf. mon
chapitre 8).
« Contre, on trouve l’enquête fouillée, et précise, d’André Salmon, absent de l’index des noms propres de l’ouvrage de Renaud Evrard. L’histoire de Renaud EVRARD est incomplète sans celle de la critique. »
Evidemment,
mon historique serait incomplet s’il était à ce point partisan. Mais les bonnes
feuilles d’André Salmon sur ses visites aux praticiens du paranormal ne nous
apprennent pas grand-chose sur le développement de la parapsychologie
scientifique. Thébault est caricatural lorsqu’il généralise cette absence comme
marquant le désintérêt pour le point de vue sceptique. Au contraire, chaque
chapitre est rédigé en tenant compte des controverses, avec entre autres, du
côté critique, Babinet, Sollier, Janet, Piéron, l’Union rationaliste, l’AFIS,
Dubois d’Amiens, Figuier, Achille-Delmas, Heuzé, Kastler, Rouzé et j’en passe…
Je remercie même les dits « sceptiques » qui ont contribué à améliorer des
parties de l’ouvrage.
« Renaud EVRARD cite à 5 reprises dans son livre Madame Fraya sans mettre en évidence un seul fait intéressant relatif à ses prédictions. Contrairement à lui, nous avons étudié le cas de Madame Fraya, en détails. »
C’est
imprécis. Je ne cite jamais Mme Fraya, mais je mentionne à quatre reprises son
nom et son rôle. Pour ce point, ne disposant que d’une documentation partielle
(principalement : De Tervagne, S. (1984). Une voyante à l’Élysée : Madame Fraya. Paris : Garancière.), je ne
pouvais pas aller plus loin. J’avais néanmoins précisé que Mme Fraya, au-delà
de son rôle publique, avait collaboré avec plusieurs scientifiques :
Binet, Vaschide, Osty, Geley, Schrenck-Notzing, etc. La synthèse de leurs
recherches restent à faire.
Quant à l’étude détaillée revendiquée par
Thébault, elle me semble très insuffisante et n’est pas publiée dans une revue
scientifique. Elle s’appuie principalement sur les écrits intéressés de Simone
de Tervagne, source biaisée qui appelle à des vérifications extérieures. La
prétention d’expertise de Thébault aurait dû l’inviter à consulter l’ouvrage
d’un historien qui a traité de façon plus rigoureuse les liens entre paranormal
et guerres : Le Naour, J.-Y. (2008). Nostradamus
s’en va-t- en guerre. 1914-1918. Paris : Hachette.
« Tout cela pour dire que la parapsychologie sert d’artifice commode pour livrer des prédictions publiques. Sur le plan des artifices, si Renaud Evrard fait la part des trucages des « voyantes » à ectoplasmes, sa contribution reste toutefois limitée. Sans lui faire de procès d’intention. Simple constat de fait. »
Je ne comprends pas à quelle
parapsychologie il est ici fait référence. Que les praticiens du paranormal se
revendiquent de la parapsychologie, c’est un problème sociologique et
historique dont l’approche scientifique du paranormal n’a pas nécessairement à
être tenue pour coupable (cf. mon analyse de l’argument des « vases
communicants » dans mon chapitre 2).
Quant à ma discussion des trucages, elle
est systématique quels que soient les phénomènes observés. Je donne des
indications sur les défauts méthodologiques (même ceux passés inaperçus à
l’époque) des expériences de Janet sur l’hypnotisme à distance (chap. 4), des
expériences d’Osty avec ses métagnomes (chap. 8), de Warcollier sur le dessin
télépathique (chap. 9), etc. Ce n’est ni un constat de fait, ni un procès
d’intention : c’est une erreur.
« *Sur Pierre Curie : Renaud Evrard tend à présenter le mari de Marie Curie comme un « possible » savant engagé dans la démonstration enthousiaste du fait parapsychologique. Ce serait une erreur de le croire. On doit à Pierre Curie la mise en évidence d’une observation paradoxale en matière de symétrie en physique : celle de la révélation des effets de la dissymétrie. Il énonça une loi « il est nécessaire que certains éléments de symétrie n’existent pas. C’est la dissymétrie qui crée le phénomène ». Lorsque plusieurs phénomènes se superposent, leurs dissymétries s’ajoutent. Il ne reste comme éléments de symétrie que ceux qui leur sont communs. « Lorsque certaines causes produisent certains effets, les éléments de symétrie des causes, doivent se retrouver dans les effets produits. Lorsque certains effets révèlent une certaine dissymétrie, cette dissymétrie doit se retrouver dans les causes qui lui ont donné naissance». Tel était l’état des idées de Pierre Curie dans ses observations de la fausse médium Palladino. A destination des astrologues, Pierre Curie mettait en évidence que le champ magnétique n’a pas d’axe de symétrie qui lui soit perpendiculaire. Une planète perpendiculaire à la Terre coupe le champ magnétique. Cela survient 2 fois par mois, tous les 15 jours, lors des premiers et derniers quartiers de Lune. Bizarrement les astrologues ne l’ont jamais observé depuis les critiques de Sextoy Emperikoy au second siècle. En ce cas il convient d’appliquer la loi du physicien Jean Paul Krivine de 2009 : l’astrologie ça ne marche pas, ça n’a même jamais marché. Ce n’est pas qu’un problème de jambes. »
J’ai effectivement tendance à
interpréter tous les documents historiques (archives, correspondances,
témoignages de contemporains, rapports expérimentaux) comme montrant
l’implication de Pierre Curie dans la parapsychologie scientifique de 1904 à
1906. Responsable, l’espace d’un an, d’une commission étudiant la médium
Eusapia Palladino, il effectue des contrôles, propose des innovations
méthodologiques, relatent ses succès autour de lui, et projettent d’en faire
une étude systématique (que la mort empêche). Les arguments de Thébault sont
complètement hors-sujet : comment la théorie physique de la dyssmétrie
devrait s’appliquer dans l’après-coup sur l’étude parapsychologie de Curie,
sans tenir compte de ses propres idées à ce sujet ? Et ses idées sur
l’astrologie, aussi fondées soient-elles, comment pourraient-elles s’appliquer
à l’identique sur la parapsychologie ?
« * l’illicite et la parapsychologie : Renaud Evrard écrit, imprudemment : « Les pratiques de divination étaient légalement interdites… Elles ne le sont plus aujourd’hui à ce titre de pratiques divinatoires, mais lorsque, sous des appellations floues et non réglementées, elles transgressent simplement la loi commune.» Cette affirmation indique une méconnaissance crasse des textes. Depuis le 2 juin 1843, de jurisprudence constante le délit dit d’escroquerie à la divination est réprimé. Il lui suffit d’ouvrir un code pénal Dalloz, et de lire les commentaires figurant sous l’article 313-1, notamment page 1045 du Dalloz 2017 note 153 escroquerie à l’art divinatoire avec la définition « constitue une escroquerie le fait pour une personne d’obtenir la remise de sommes d’argent en persuadant des gens crédules de ses pouvoirs divinatoires ». Quant au civil, la jurisprudence a développé la notion dite du « non sérieux » regroupant astrologie, voyance, médiums, et toute la panoplie de l’ésotérisme parapsychologique. »
Remarques intéressantes, et dans laquelle
Thébault brille par son expertise. Néanmoins, mes propres affirmations ne
peuvent être réduites à une « méconnaissance crasse des textes » puisque je me
base (et je me répète) sur le mémoire de Jean Boudot, La réaction du droit pénal face au paranormal (DEA de Droit pénal
et sciences criminelles de l’Université Lyon III, 1996), publié en partie
dans la revue Science et pseudo-sciences
de l’AFIS en 2002. De plus, dans ce passage, Thébault aurait dû préciser qu’il
citait ma réponse à sa note de lecture, et non mon livre.
« * lecture orientée : tel est le principal reproche de Renaud EVRARD à la note de lecture publiée sur son livre. Autrement dit une prise de position partiale du commentateur. Il est possible que Renaud EVRARD n’ait pas perçu le désappointement suscité par le contenu de son livre. Faites l’expérience de pensée de l’échange de propos entre un souteneur et 2 prostituées. La première pour obtenir la première place sur le trottoir vante ses accessoires de lingerie et sa plastique affriolante. La seconde donne ses résultats pratiques d’abattage x clients à x euros en 30 minutes. Le souteneur en homme d’affaire choisira la prostituée dont le rendement est connu, à celle qui ne fait que des promesses. Le livre de Renaud EVRARD allèche la curiosité sans la satisfaire. Pas le moindre fait parapsychologique avéré. Ce n’est pas de sa faute. En 150 ans, comme en plus d’un millénaire, y compris avec le progrès technologique, la parapsychologie échoue à prouver son existence. Simple constat de fait. C’est un point de vue du type de gustibus et coloribus. Comme il était dit au casernement pendant les classes choisissez entre être un homme ou un drogué. Simple question de réalisme. Astroemail traitant de la crédulité ne saurait faire de la réclame pour des promesses parapsychologiques non tenues. »
La parapsychologie
« existe » : les phénomènes qu’elle étudie ont un autre statut,
pour le moins controversé. Les avis divergent à ce sujet, mais il existe un
certain nombre de scientifiques qui considèrent ces phénomènes comme possibles
voire en voie d’être confirmées expérimentalement.
Un livre d’histoire de la parapsychologie
n’a pas le même objectif que les articles et ouvrages focalisés sur la question
de la preuve. Je renvoie les lecteurs vers :
· Broderick, D., Goertzel, B. (2014). Evidence for Psi: Thirteen Empirical Research Reports. New York : McFarland.
·
May,
E.C., Marwaha, S.B. (2015, dir.). Extra-Sensory
Perception : Support, Skepticism, and Science (2 vols). New York : ABC-Clio.
·
Radin,
D. (2016). Selected Psi Research Publications.
Je pense avoir tenu mes promesses en
termes d’histoire de la parapsychologie (française) et ne mérite pas d’être
tenu pour une prostituée efficace ou un drogué qui alimente la crédulité.
« Déception ou réception ?Renaud EVRARD reproche au commentateur d’exprimer une prétention d’expertise en parapsychologie scientifique. Une incompréhension, vraisemblable, de la note de lecture. Le commentateur énumérait des cas relevant du domaine de la parapsychologie sans se poser en connaisseur émérite. Jean Dunikoswki cité en fin de note des actualités de 1932 était un retraiteur d’or sur brevet déposé à l’inpi, que la presse de l’époque présentait faussement comme un alchimiste. Une illustration des illusions suscitées dans le public par la parapsychologie scientifique. »
Dans le même paragraphe, on retrouve ce
procédé de citer un cas précis et peu connu, qui donne une impression
d’expertise, pour se défaire de travaux qui n’ont pourtant rien à voir avec.
L’histoire judiciaire des praticiens du paranormal ne se superpose pas à
l’histoire de la parapsychologie scientifique. Cette confusion réitérée est la
probable source de la déception de Thébault.
« Au-delà des points de vue divergents, j’ai apprécié d’échanger avec Renaud EVRARD, à haut niveau intellectuel, en débattant avec lui de mes arguments. Andy Warhol disait «quelle que soit la publicité c’est toujours une bonne publicité». On parle du livre de Renaud EVRARD finalement. Une critique argumentée vaut mieux que des propos laudateurs pour susciter l’intérêt. »
L’appréciation n’est pas réciproque.
Thébault n’a répondu à aucun des arguments de ma réponse à sa note de lecture. Il
a simplement produit ou reproduit des critiques infondées et fallacieuses, à
l’exception de la citation de l’article 1045 du Dalloz 2017 (note 153 sur
l’escroquerie à l’art divinatoire).
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