mardi 23 février 2016

Interview par Carlos Alvarado

The psychologist Carlos Alvarado made an interview of me regarding the book "La légende de l'esprit". The English version can be found on his website. I will thank him to allow me publishing a French version of this interview below.

Pouvez-vous nous faire un bref résumé de l’ouvrage ?

Le livre commence par une introduction technique sur les problèmes que pose la démarcation science/pseudo-science lorsqu’on s’intéresse à l’histoire commune de la psychologie et de la parapsychologie. Je m’appuie alors sur les écueils et les solutions produites par quatre méta-sciences : la sociologie, la philosophie, l’histoire et la psychologie des sciences (et parasciences).
Le prologue, au début du deuxième chapitre, résume une partie du travail de Bertrand Méheust (1999) sur la façon dont les scientifiques ont appréhendé la question du magnétisme animal jusqu’à son rejet explicite à l’Académie de médecine en 1842. Je débute ensuite une histoire de la parapsychologie centrée sur dix figures françaises plus ou moins connues, chacune abordant la parapsychologie à sa façon, en mettant l’accent sur le croisement entre trajectoire personnelle et trajectoire scientifique. Par ordre de chapitre, ces dix figures sont Agénor de Gasparin, Timothée Puel, Pierre Janet, Charles Richet, Pierre Curie, René Sudre, Eugène Osty, René Warcollier, François Favre et Nicolas Maillard. Grâce à eux, je parviens à couvrir, sans être exhaustif, 150 ans de parapsychologie en France. Un épilogue traite de récents débats en France au travers desquels on perçoit la marginalité actuelle de la parapsychologie.
Dans la conclusion, j’essaie de tirer des leçons de cette histoire selon plusieurs axes : les fonctions de l’hétérodoxie parapsychologique pour la psychologie (histoire des sciences) ; la construction de la crédibilité scientifique et de l’expertise de démarcation (sociologie des sciences) ; la part de l’élusivité naturelle et sociale comme obstacle épistémologique (philosophie des sciences) ; et l’analyse réflexive des vices et vertus épistémologiques (psychologie des sciences).

Quel est votre lien avec la parapsychologie, et avec le sujet de ce livre en particulier ?
J’ai une bonne connaissance générale de la parapsychologie et je soutiens de nombreuses initiatives visant à diffuser des informations correctes sur l’état d’avancement de la discipline. Considérer que c’est une discipline qui, sous sa meilleure forme, a toute légitimité à intégrer la communauté scientifique et académique ne me fait pourtant pas adhérer à toutes les croyances qui circulent concernant les « phénomènes psi ».
Mon approche principale, développée dans ma thèse et mon précédant livre, Folie et paranormal (PUR, 2014), est la clinique des expériences exceptionnelles. En tant que psychologue clinicien, je m’interroge depuis longtemps sur l’écoute réservée aux personnes qui, aujourd’hui encore, pensent faire l’expérience du paranormal. Les aspects culturels jouent un rôle important dans la possibilité d’intégrer (pour le meilleur et pour le pire) ces vécus à des modèles de la réalité. Il est donc normal de s’interroger sur la façon dont les Français cultivent un rapport paradoxal vis-à-vis du paranormal : ils sont officieusement de grands amateurs de paranormal, mais affirment officiellement n’être que des cartésiens rationalistes qui ne mangent pas de ce pain-là. L’approche scientifique et agnostique de la parapsychologie a eu toutes les peines du monde à frayer son chemin entre ces deux courants contradictoires.
Je ne suis pas historien de formation, mais j’étais confronté perpétuellement à ce clivage, étant un psychologue s’intéressant, dans un cadre universitaire, à des sujets hétérodoxes. Ce que j’ai développé dans ma thèse par rapport à une interrogation actuelle sur les rapports de nos sociétés occidentales au paranormal, je l’ai prolongé ici en me concentrant sur la France et sur la trame historique des rapports conflictuels entre l’orthodoxie et l’hétérodoxie en psychologie.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Lorsque j’ai commencé à travailler dans le service gratuit de clinique des expériences exceptionnelles au sein de la fondation Institut métapsychique international de Paris, j’ai rapidement découvert les trésors de leurs archives. Au fil des ans, j’ai accumulé de nombreux documents, mais aussi des archives privés, des témoignages de descendants ou de contemporains de chercheurs, et j’ai développé une expertise par mes interactions avec les nombreux chercheurs qui explorent des bouts de cette histoire. A un moment, j’ai eu besoin de restituer tout cela pour faire le point sur ce que je savais, au-delà des quelques articles et communications que j’avais disséminés. De nombreux chercheurs à l’étranger m’encourageaient à diffuser ces informations dont ils n’avaient qu’une connaissance approximative, notamment du fait de l’obstacle de la langue.
Ce livre est parti de problématiques de recherche assez simples : pourquoi la France est si en retard, comparativement à ses voisins européens, dans l’acceptation d’une psychologie scientifique des croyances et expériences paranormales ? Pourquoi alors qu’elle était au sommet de la « métapsychique » à la période de Puységur (Méheust, 1999), au tournant du XXe siècle et de nouveau durant les Années folles, n’y a-t-il jamais eu aucune unité académique dans ce domaine ? Une autre question concernait les rapports entre psychologie et parapsychologie : beaucoup d’auteurs affirmaient qu’un divorce irréversible avait été prononcé entre les deux disciplines, mais aucun ne s’entendait sur le moment et la manière de cette démarcation. Mon étude m’incite à penser qu’il s’agit plutôt d’un travail de frontiérisation dynamique qui est toujours en cours, et auquel on participe en reléguant la parapsychologie dans l’histoire sans prendre en considération son développement contemporain.

Pourquoi pensez-vous que ce livre est important et qu’espérez-vous qu’il accomplisse ?
Ce livre a de nombreuses imperfections et j’espère qu’elles seront corrigées au fil des ans. A chaque chapitre, je rectifie moi-même de nombreux détails erronés diffusés par d’autres historiens académiques ou non-académiques. Mais cela est tout à fait normal car j’accepte d’inscrire mon travail dans une sériation : il n’aurait pas été le même sans d’importants travaux qui m’ont précédé (ceux de Plas, Méheust, Le Maléfan, Lachapelle, Brower, etc.). Et j’espère qu’il poussera d’autres à être encore plus rigoureux et précis que moi dans les détails de cette histoire passionnante.
L’un des intérêts de mon travail – mais peut-être son ambition la plus impardonnable – est de traiter également de la période contemporaine (après la Seconde Guerre mondiale), ce qu’on ne trouve pas habituellement dans les autres ouvrages. Probablement que le recul manque pour traiter de ces périodes, surtout que plusieurs individus concernés sont encore vivants ou laissent un souvenir vivace. Mais je voulais répondre à des questions que je n’étais pas seul à me poser sur les différents cycles connus par la parapsychologie française et leurs conséquences sur la situation actuelle.
Je crois que les spécialistes apprécieront toutes les petites découvertes qui parsèment mon livre et amènent à réviser certains jugements. Il y a toutes ces figures inconnues (Agénor de Gasparin, Timothée Puel, Louis Favre…) qu’on ne manque pas de déterrer lorsqu’on pousse la recherche au-delà des « grands hommes ». De nombreuses anecdotes parsèment l’ouvrage et tentent d’approcher au maximum des contextes de l’époque. Le fait d’être porté, à chaque chapitre, par un personnage historique principal favorise une lecture dans laquelle on se projette facilement. Toutefois, j’ignore comment le grand public va accueillir ce récit complexe, rédigé dans un style rigoureux et très documenté, et qui ne donne raison ni aux parapsychologues, ni aux sceptiques.

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